Auparavant
Au cours d’une bagarre à l’entraînement, Anahuark blesse Karolyse et brise à nouveau le mauvais genou de Karsgaard Neuvil. Cassandra Thordwall met un terme à l’échauffourée et demande à en connaître la cause. En apprenant qu’il s’agit d’une querelle à propos d’un beau bravache, elle révèle que le jeune homme a été engagé par le propriétaire des Rats de quai pour semer la discorde parmi les joueuses. Elle congédie sur-le-champ Anahuark et Cuxi-Mikay. Lorsque Jacyntha la supplie de ne pas renvoyer les joueuses et de laisser les Xonyxas régler le problème entre elles, Thordwall répond qu’elle l’a déjà réglé et menace de fouetter Jacyntha si elle ne retourne pas à l’entraînement. Les Xonyxas se rallient autour de leur coéquipière menacée, ce qui laisse Thordwall perplexe. Malgré la douleur à son genou, Neuvil calme le jeu et prend sa patronne à part, lui affirmant qu’ils ont peut-être embauché involontairement une princesse Xonyxa : Jacyntha.
Le match contre les Bouffons tourne mal. La minotaure Goriada encorne une mercenaire engagée par les Militantes, puis la sorcière elfe Nytmir Tissefléaux s’abat sur Belyna, un elfe noir renverse Ellpay et un satyre l’agresse sans que l’arbitre intervienne. Alors que les Militantes se précipitent pour faire payer le satyre, Jacyntha ne voit pas Tissefléaux arriver par-derrière et reçoit un coup de pied à la tête. Lorsqu’elle reprend ses esprits, le match est presque terminé, les Militantes sont en retard 2-1 et le coach Karsgaard ne semble pas tout à fait présent. Il ne ressent clairement pas la douleur dans son genou. Il se balance d’un pied à l’autre en marmonnant: « Le bâtard. Le sale bâtard. »
« Tu es en retard ! »
Karsgaard Neuvil s’affala sur le tabouret devant le bureau de Cassandra Thordwall. — Ah oui ? Excusez-moi, je ne savais pas que votre temps était précieux au point de pouvoir empêcher un mateo de se retrouver coincé au coeur d’une foule en traversant le pont des Cent Arches. La prochaine fois, j’annulerai le festival de la Noire-étoile.
Thordwall plissa les yeux et fixa le coach. Elle siffla, — Tu vas t’excuser à l’instant.
— Avez-vous de la cire dans les oreilles ? J’ai déjà dit « Excusez-moi ». Pas étonnant que nous ayons été écrasés par les Bouffons; vous ne m’avez pas écouté, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas fait en sorte qu’Umberto soit de mèche avec l’arbitre.
— Sors d’ici !
Grimaçant à cause de la douleur dans son genou, Neuvil se leva péniblement. — Si je sors par cette porte, c’est pour de bon.
— Maintenant, c’est toi qui as de la cire dans les oreilles; j’ai dit « Sors d’ici ! »
Neuvil boitilla jusqu’à la porte du bureau de l’auberge du Roi Pêcheur, mais alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil, le garde du corps de Thordwall fit irruption dans la pièce. — Patronne, dit Umberto, y’a Pierce Rosépine des Querelleurs et l’duc Tancred des Impériaux. Les deux veulent vous voir.
Le genou de Neuvil se déroba quand il essaya de contourner Umberto. Le garde du corps le rattrapa par le bras, l’empêchant de basculer. — T’es O.K., coach ? Il aida Neuvil à se redresser et à garder l’équilibre avant de demander, — J’les fais monter ?
Les yeux de Thordwall brûlaient d’une rage intérieure de pirate. Son regard perçant ne quitta pas Neuvil des yeux alors qu’elle hochait la tête, — Que l’aubergiste apporte deux bonnes chaises et un flacon de vin.
— OK, patronne. Umberto quitta.
Thordwall cracha presque ses mots suivants, — Assieds-toi avant de tomber.
Neuvil boitilla jusqu’au tabouret et s’y affala, frottant son genou. — Dites-moi la vérité, demanda-t-il, vous n’avez pas investi un rond dans notre dernier match, n’est-ce pas ? Rien pour les arbitres, rien pour les fans, rien pour une troupe d’acrobates. Il n’y avait certainement pas de médecin pour soigner nos joueuses blessées.
Thordwall resta silencieuse pendant un long moment, semblant maîtriser sa rage. Lorsqu’ils entendirent des bruits de pas dans la cage d’escalier, elle dit : — Je vous ai payé trois mercenaires, non ? Et j’avais besoin des revenus pour payer mon avocat qui m’a fait sortir des cachots de la Forteresa Almenara.
— Oh, maudits treize enfers, Cassandra, vous avez pillé la villa de Giamucci. Êtes-vous en train de me dire que vous n’avez rien pris de valeur ?
— Le butin est parti en bateau avec mon frère.
— Eh bien, quand est-ce qu’il revient ?
Elle ignora la question et lui en posa une en retour. — À toi de me dire la vérité… la racine-de-rat tue la douleur mais rend agressif : tu en prends à nouveau, non ?
Il croisa son regard. — Non, je n’en prends pas.
Elle rit, mais ce n’était pas de gaieté de coeur. Au son de Rosépine et de Tancred qui arrivaient dans le couloir, elle répondit, — Ce truc peut te tuer; juste pour que tu le saches. Comment vont les joueuses ?
— Secouées. Elles rendent visite à cette mercenaire que Goriada a encornée. J’espère que ça leur ouvrira les yeux que ce jeu peut tuer… autant que la racine-de-rat.
Elle ignora la pointe et se leva pour accueillir le joueur-coach des Querelleurs de Gloriana, l’elfe sylvain Pierce Rosépine, et l’actuel propriétaire-gérant des Impériaux de Guayamartí, le duc Tancred de Baston, un chivalron émigré de l’autre côté de la mer de Sommer. Thordwall laissa Rosépine embrasser l’air au-dessus du dos de sa main tendue et elle reçut un salut formel du duc, qu’elle rendit en ajoutant « Votre Grâce ».
L’aubergiste apporta deux chaises et un flacon de vin, duquel il versa trois gobelets, en remettant un à Thordwall, un à Rosépine et un au duc Tancred. Neuvil aurait bien aimé un peu de cette boisson; au lieu de cela, il collectionna un autre grief contre son employeur.
Rosépine était trop sylvain pour en venir à l’essentiel de sa visite, inondant à la place Thordwall de compliments sur son ambition, la compétence inattendue de ses joueuses recrues et, bien sûr, sur sa beauté frappante. Enfin, Tancred prit la parole et dit, — Ma dame, il me peyne de dire que le Conseil des Gouverneurs de la ligue trahit son serment de ne pas agir dans l’inteyrêt d’une seule eyquipe ou d’une partie de l’ensemble.
Thordwall se redressa — Comment ça ?
— Mon estimé colleygue ici preysent et moi parlâmes, mais pas une seule de nos suggestions d’agents libres ne fut retenue pour joindre aux Bouffons. Mais il y a peut-eytre une solution.
— Les gouverneurs tardent à vous inviter parmi eux, poursuivit-il. Ils preytendent vouloir s’assurer que vos Militantes ne plient pas bagage et ne se montrent pas fugaces. Nous pensons qu’il est temps pour vous de protester et de reyclamer votre place leygitime parmi nous. Nous voudrions playder en votre faveur… mais nous voulons également eytre certains de vos intentions. Nous soutiendriez-vous si nous demandions une reyforme des Bouffons ?
Thordwall plissa les yeux et s’attaqua immédiatement au problème que Neuvil lui-même avait repéré, — Mais les Militantes ont déjà encaissé l’unique match des Bouffons. Devrions-nous affaiblir cette équipe avant qu’elle n’ait affronté toutes les autres ?
Rosépine fit un sourire comme s’il était indulgent avec un enfant impudent. — Vous errez, belle dame, si vous pensez que leur minotaure et quelques guerriers havocs parviendraient à poser un doigt sur mes amis et mes proches. Et il va de soi que si les Bouffons employaient quelques-uns de mes semblables, ils seraient encore plus difficiles à vaincre.
Le duc Tancred ajouta, — Et ce ne sont que nos paysans… euh, roturiers, qui n’ont pas les pieycettes pour une armure appropriée. Mes vaillants chevaliers et braves yeomans ne craindraient jamais de tels adversaires.
Rosépine poursuivit, — Nous savons que les Taillerochers se soucient peu de la nature sauvage des Bouffons, les nains étant à peine moins sauvages que les créatures que Don Eguardo a insisté pour engager. Mais les nains sont tellement faciles à persuader qu’il y a une insulte à leur égard dans n’importe quelle circonstance… Je suis tout à fait certain que nous pouvons les convaincre que la ligue a insulté leur espèce en refusant qu’un seul nain fasse partie de l’équipe et en ne recrutant à la place que leurs ennemis jurés, les hérétiques nains havocs.
— Alors vous voyez, poursuivit Rosépine, avec votre soutien, nous aurions la moitié des gouverneurs en faveur de notre pétition, qui découle d’un pur souci pour le bien-être de vos joueuses.
Thordwall fit un sourire froid. — Comme c’est gentil de votre part. Je chercherai volontiers à obtenir le siège qui me revient au Conseil des gouverneurs, mais il faudrait que les Militantes terminent en quatrième pour affronter à nouveau les Bouffons. J’aurais besoin… d’être davantage convaincue… par votre argumentaire pour le soutenir autour de cette table.
Rosépine et le duc échangèrent un regard avant que Tancred ne dise, — Vous devez soit n’avoir aucune foy en vos joueuses de faire les eyliminatoires, ou soit avoir une grande foy qu’elles finissent plus haut que quatrieyme. Prenez garde ! Les champions en titre, les infernaux Skitteringis, ont deyjà remporté leurs deux premiers matchs, tout comme les Querelleurs. Ma propre eyquipe, après un revers initial contre l’eyquipe de ce cher Pierce, rebondit avec une victoire et je suis confiant que notre saison va maintenant se deyrouler avec succès. Je crois que nos deux eyquipes, celle de Pierce et la mienne, vont se disputer la premieyre place avec les Skitteringis à la fin de la saison. Pensez-vous pouvoir deyloger l’un d’entre nous et prendre la troisieyme position ? Si tel est le cas, vous avez de grandes ambitions.
Thordwall sourit à nouveau. — Vous ne pensez pas possible que nous nous glissions parmi les trois premiers ? Oui, les Skitteringis sont les champions en titre, mais de quelle manière ont-ils défendu l’honneur de notre ligue lors de la Coupe majeure des Deux-Mers ? Elle leva la main pour empêcher une réponse. — Vous n’avez pas besoin de me le dire; j’y étais. Ils se sont inclinés en demi-finale. Aucune équipe de la Ligue de la mer de Sommer n’a remporté ce tournoi majeur, n’est-ce pas ?
Le duc Tancred fronça les sourcils. Pierce Rosépine secoua la tête.
Thordwall regarda Neuvil et durcit sa voix. — Vous doutez que les Militantes puissent finir parmi les trois premiers ? Eh bien, je vous le garantis. Aucune autre équipe n’emploie de coach ayant mené son équipe au championnat de la Coupe majeure. Moi, si.
« Ils mentent »
Thordwall leva les yeux vers Umberto et approuva de la tête. Son commentaire avait interrompu sa propre réflexion sur la façon dont l’audience s’était terminée. Rosépine s’était adressé à Neuvil et s’était enquis de la santé de Jacyntha à la suite de sa lutte contre la plaga roja. Elle avait entendu Neuvil répondre, — Il y a longtemps, tu m’as fait le serment de soigner un de mes joueurs le moment venu. Tu as respecté ton serment. Elle va bien… même si elle reste une recrue.
Rosépine fit un de ses sourires parfaits et dit, — Je suis un elfe de parole. Toujours. Il y a un remède pour l’affliction de la recrue aussi, mon vinr, honorant Neuvil en utilisant le terme des hommes du nord pour ami. Mais tu ne l’aimeras pas. Si je me souviens bien, la recette est défaite sur défaite, avec un match nul occasionnel, et une légère touche de victoire. Mélangez pendant une année entière, et voilà ! Le remède. Mais ensuite, le sylvain avait interrogé le coach sur sa propre santé, l’air inquiet, mais ne semblant pas faire référence au genou de Neuvil.
De retour dans l’instant présent, elle répondit à Umberto. — Tu as raison. Ils auraient pu venir me voir avant notre match contre les Bouffons, mais ça n’est qu’aujourd’hui qu’ils ont trouvé le temps, après que nous ayons été vaincus et battus. Bon, j’admets que ce connard de Rosépine a probablement raison quand il dit que les guerriers havocs ne parviendraient pas à mettre le grappin sur ses joueurs, mais il a passé Nytmir Tissefléaux sous silence, n’est-ce pas ? Je parie qu’il n’est pas si sûr que ses Querelleurs puissent lui tenir tête, à elle et à ses frères elfes noirs. Par contre, je crois le duc Tancred quand il dit ne pas se soucier de ses paysans.
Umberto acquiesça. Il sortit une feuille pliée et la lui tendit. « On est tombé à la sixième place. Si c’était les éliminatoires aujourd’hui, les Impériaux joueraient contre les Bouffons pendant qu’les Querelleurs attendraient d’affronter l’gagnant.
— Mais les éliminatoires ne commencent pas aujourd’hui, dit Thordwall. Elle déplia la feuille et regarda le classement de la Ligue de la mer de Sommer. Elle sentit sa colère monter en voyant les Rats de quai une position au-dessus de son équipe par le différentiel des touchés. — Je pense que nous allons devoir donner une autre leçon à Don Eguardo pour qu’il ne s’en prenne plus aux Militantes, dit-elle. Réfléchissons à une façon d’y arriver sans que je finisse en prison.»
Umberto pinça les lèvres. — Pourquoi on demanderait pas à vot’ frère de recommencer à harceler la flotte à Giamucci ?
— Parce qu’il n’y a pas que Pierce Rosépine qui tient sa parole ! J’ai fait une promesse, dit-elle. Même si je déteste cet enfoiré, il a tenu sa part du marché : nous sommes dans la ligue. Alors je respecterai la mienne. Puis elle ajouta, — Eh bien, peut-être que nous ne sommes pas totalement dans la ligue… Je vais exiger ce siège au Conseil des gouverneurs. Immédiatement.
— Umberto, tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour moi cet après-midi; je vais rester ici et travailler sur ma pétition pour réclamer le siège des Militantes. Alors, voici ta tâche pour aujourd’hui; découvre si quelqu’un fait passer de la racine-de-rat à Neuvil.
Umberto leva les yeux, surpris.
Elle haussa les épaules. — C’est juste une intuition. Il agit bizarrement. Et Rosépine a été un peu trop soucieux de sa santé aujourd’hui. Fais juste y jeter un oeil. Si mes craintes sont fondées… eh bien… disons simplement que si c’est une petite frappe, débarrasse-t’en. Si c’est quelqu’un de lié à une guilde, nous discuterons de ce qu’il faut faire.
Umberto acquiesça. — Ça m’va, patronne.
— Qu’as-tu découvert sur Jacyntha?
Son garde du corps haussa les épaules. — Toutes les joueuses sont restées muettes; elles veulent pas en parler. Mais vous inquiétez pas, patronne, j’suis ça de près. J’attends un mot d’mon gars à Sika-Sika. Si c’est une vraie princesse, on va bientôt l’savoir.
Umberto alla vaquer à ses occupations, laissant Thordwall réfléchir aux derniers mots que Neuvil lui avait adressés. — Quand votre frère reprendra la mer, avait-il dit avant de quitter prestement, nous aurons besoin de lui pour retourner à la baie du Gecko et y recruter d’autres Xonyxas; nous ne pouvons pas continuer la saison avec un seul substitut. Et si vous voulez préserver les joueuses que vous employez déjà, vous devrez puiser dans votre butin pour nous trouver un médecin.
Elle détestait l’admettre, mais il avait raison. L’équipe avait besoin de plus d’investissements.