09 : Tu as un ami sur le terrain

Auparavant

Pour se venger d’Eguardo Giamucci, le propiétaire des Rats de quai, qui a payé des joueurs vedettes aux Taillerochers lors du match les ayant opposé aux Militantes de Mytilan, la propriétaire d’équipe et ancienne pirate Cassandra Thordwall conçoit un plan avec son frère (et pirate actif) pour s’attaquer à sa villa. Ils s’introduisent dans la villa de Giamucci et la pillent, tabassant la plupart des hommes de main du marchand d’épices.

Le raid coïncide avec une fête d’équipe destinée à dévoiler les Militantes à la population juste avant que ne débute la saison de foot, et ce, tandis que le coach Karsgaard Neuvil réfléchit à la nécessité de créer une base de fans pour transformer l’atmosphère intimidante de l’Eztadio de Sanger en quelque chose d’inspirant. Pendant la fête, une meute dirigée par l’ennemi de Neuvil, Rennigan Slythe, casse l’ambiance. Slythe informe Neuvil qu’il a contribué à jeter Cassandra Thordwall en prison.

« TU as un ami sur le terrain. LE CHAPEAU EST LE Signal. »

Neuvil approuva de la tête, reprit le bout de papier des mains de Jacyntha et le déchira en petits morceaux. — Merci.

Elle sourit. — Je pourrais t’apprendre à lire.

— Je pourrais t’apprendre à tenir ta bière. Ne crois pas que je n’ai pas remarqué à quel point tu as été mauvaise à l’entraînement hier.

Elle rougit, penaude. Il adoucit le coup avec un sourire. Il n’avait pas beaucoup souri depuis que Slythe avait fait irruption dans la Voile Loffante. Et en parlant de misères, il n’avait fait qu’accumuler les mauvaises nouvelles les unes après les autres : Thordwall dans un donjon, Slythe devenu le nouvel officier disciplinaire de la ligue – peu importe ce que c’était, par les maudits treize enfers -, une enquête de la ligue sur la conduite des Militantes hors du terrain, le vent de panique provoqué par un serpent venimeux s’étant échappé de son panier dans le temple durant la cérémonie d’avant-match (la vipère fut découverte plus tard et retournée dans son panier sans que personne ne soit mordu, mais toute cette affaire avait secoué Neuvil plus qu’il ne voulait l’admettre), une attaque des hooligans des Rats de quai sur les voitures emmenant l’équipe au Sanger et qui leur avait mis les nerfs à vif, et finalement la nouvelle d’un faible contingent de supporteurs des Militantes dans le stade.

Puis, une jeune fille anxieuse avait frappé à la porte du vestiaire et lui avait tendu un bout de papier plié. Elle s’était ensuite enfuie comme si les femmes présentes dans la pièce étaient des vipères comme celle que les joueuses avaient laissée s’échapper un instant plus tôt dans le temple.

Peut-être que le vent est en train de tourner ?

— Écoutez-moi ! cria-t-il, faisant taire la salle. Vous êtes déjà venues ici au Sanger, je n’ai donc pas besoin de vous dire à quel point le sol que vous allez fouler aujourd’hui est sacré. Les dieux nous écoutent dans les temples, mais ici… ici, ils nous acclament.

Mais seulement si nous leur faisons plaisir.

Quand vous sortirez du tunnel, peu importe le nombre de nos supporteurs ou la nature de nos adversaires, tout ce qui compte, c’est que vous soyez sous les yeux de la Vipère et du Jaguar, des Val-Kyrries et des Norns, du Primactor et du Lie-Esprit. Ils sont tous ici, même le Nagra-Lath, le plus terrible des Elfes noirs. Les acclamations des fans… même ceux qui encouragent les Rats de quai… sont le souffle des dieux, le bruit du sifflet de l’arbitre est leur appel à la bataille, le claquement des armures s’entrechoquant est le battement de leurs coeurs.

Est-ce que vous allez vous cacher devant vos dieux ? Ha ! Votre Vipère vous terrasserait !… Pas pour de vrai, Belyna, garde cette chose où elle est. Alors, vous n’allez pas vous cacher. Mais comment est-ce que vous vous présenterez devant vos dieux ? Quand je suis embarqué sur le terrain, je les ai rencontrés bien campé sur mes pieds, le feu dans les yeux et un grognement aux lèvres. Maintenant, sortez d’ici et faites en sorte que le Jaguar soit fier de vous. Faites en sorte qu’il…

— Qu’elle ! douze voix résonnèrent à l’unisson.

— Faites en sorte qu’elle vous bénisse parce que vous êtes courageuses. Allez… et amusez-vous.

Les joueuses approuvèrent bruyamment et sortirent en trombe du vestiaire. Neuvil entendit le rugissement des tribunes lorsque les premières Militantes émergèrent du tunnel sous la lumière du soleil.

Neuvil jeta un dernier coup d’oeil dans le vestiaire presque vide. Seul Umberto était là, l’air inquiet, craignant sans doute que sa patronne rate un moment aussi marquant dans l’histoire de la nouvelle équipe. Le garde du corps dit : « J’espère que la patronne verra le match. »

— Moi aussi, mon vinr, répondit Neuvil, en utilisant un mot des hommes du nord pour désigner un ami. Viens, allons faire notre travail.

Umberto prit son tricorne et le tendit à Neuvil. — Tu vas avoir besoin de mon chapeau.

Neuvil fixa Umberto dans les yeux pendant un long moment, puis il prit le chapeau. Il ne savait peut-être pas lire, mais il savait lire les gens, et il savait aussi signaler un vinr.

« Oui m’lords, elle était à la fête. »

Cher Gosling. Tu viens de mériter une autre célébration d’après-match à la Loffante.

Cassandra Thordwall fixa son expression tandis que l’inquisitrice pressait le propriétaire de la taverne de bord de quai. — Alors pourquoi personne d’autre n’a juré de l’avoir vue là-bas ? La femme avait l’air furieuse qu’un témoin se soit présenté pour fournir au suspect un alibi à l’épreuve des tirs d’arbalète.

Gosling haussa les épaules. — Je ne peux pas parler pour quelqu’un d’autre, m’lords. Je l’y ai beaucoup vue.

— Il ment, déclara Rennigan Slythe. Même si elle parvenait à éviter ces ennuis, le fait que Slythe soit maintenant l’Officier disciplinaire de la ligue était de mauvais augure pour l’avenir.

L’avocat de Thordwall intervint, s’adressant directement au supérieur de l’inquisitrice, le procurateur — Cette femme n’a pas l’ombre d’une preuve pour étayer les calomnies de Giamucci. Le motif est clair : le propriétaire d’un club rival veut saper un adversaire avant un gros match. Je quitte ce donjon et emmène mademoiselle Thordwall. Si quelqu’un m’en empêche, les Hiérarches eux-mêmes sauront que vous avez agi illégalement.

Le procurateur fit un bref signe de tête et agita la main comme pour chasser une mouche. L’inquisitrice semblait prête à arracher la tête de quelqu’un. Elle grogna : — Ce n’est pas fini. Je vais déterrer tous les témoins possibles de votre cambriolage à la résidence de Don Giamucci.

— Bonne chance avec ça, rétorqua Thordwall. Ils quittèrent les entrailles de la Forteresa Almenara et émergèrent sous le soleil. Thordwall eut un frisson comme si son corps tentait de chasser l’humidité qui l’avait pénétrée jusqu’aux os dans le donjon où elle avait passé le dernier jour et demi. Il faisait chaud et humide… un climat typique des villes portuaires de la mer de Sommer à cette période de l’année… ni trop chaud ni trop humide pour le foot.

Et elle pouvait encore arriver à temps au Sanger pour le coup d’envoi.

Un bâton fracassant le crâne d’un exotherme.

Voilà comment le coup d’envoi sonna aux oreilles de Jacyntha; le crâne de ces fichus gros lézards était dur, mais aussi creux par endroits, éclatant en un bruit sourd quand leur cervelle prenait un coup dans la bataille.

Elle vit le ballon s’élever haut dans le ciel azur, s’arquant au-dessus de la courbe lointaine de l’Eztadio de Sanger avec ses rangs de bannières flottant dans le vent. Le son s’évanouit de sa conscience alors qu’elle suivait le vol du ballon. Il tournoyait sur lui-même de haut en bas, le botteur des Rats de quai y ayant ajouté un effet de rotation arrière; elle ne pouvait pas le laisser rebondir. Elle fit marche arrière, gardant les yeux rivés sur le cuir et sentant son amie Ocllo prendre position devant elle.

Utilise tes mains et non ta poitrine.

Le conseil du coach Karsgaard était judicieux et elle réussit l’attrapé tout juste devant la zone de but des Militantes, à moins de cinq pas de la ligne de touche gauche. Elle jeta un premier regard en amont; ses soeurs avaient repoussé le flanc droit, comme le coach le voulait, et celles de gauche cédaient face à des blocages féroces.

Bouge-toi !

Elle s’élança vers l’avant, s’alignant sur l’ouverture à sa droite, Ocllo couvrant son flanc gauche. Il y avait beaucoup de mouvement devant elle, mais la seule forme qu’elle parvenait à identifier était celle de Yupanki, l’ogre des Rats de quai, qui avait fait irruption au milieu de la mêlée en envoyant Belyna voler. Ocllo fit un signe de la main et Jacyntha comprit soudain pourquoi : la poussée le long de la ligne de mêlée s’était enlisée… elle ne gagnerait plus rien à s’en rapprocher. Sur la gauche, la ligne avait cédé et des joueurs vêtus de gris et de blanc contournaient le flanc de la ligne.

Trouve la brèche et fonce.

Mais aucune brèche ne s’ouvrait à elle. Le centre des Rats de quai tenait bon, ancré par Yupanki qui balançait ses poings à gauche et à droite. Ses soeurs à sa droite avaient terrassé quelques adversaires, mais les réserves étaient intervenues, ce qui n’était pas une mauvaise affaire et était conforme au plan de match du coach. Il lui avait dit : « Tu es une lanceuse, alors lance si tu dois le faire. »

Du courage maintenant. Du courage comme en a eu ce rongien puant qui s’est bien foutu de moi.

La ligne des Militantes céda sur sa droite alors que Yupanki avançait au centre du terrain. Un trio de Rats de quai vint à elle par la diagonale de gauche. Le plus petit de ces joueurs se tenait en retrait, en attendant que le ballon se libère. Ocllo retint celui du milieu et Jacyntha esquiva le troisième.

Maintenant ou jamais.

Jacyntha se précipita vers la mêlée et lança le ballon en un lobe pour le faire passer par-dessus Yupanki. Celui-ci était si occupé qu’il ne remarqua pas la passe. Jacyntha ne pouvait voir si Karolyse était sous le ballon, mais elle avait confiance en sa cousine et elle devait s’occuper d’une affaire plus urgente; Yupanki avait surgi de la mêlée et tentait de la frapper.

La grosse main de l’ogre heurta son épaulière, mais elle esquiva le pire, pirouettant sur elle-même en utilisant l’élan du coup à son avantage pour atterrir sur ses pieds, comme les recruteurs de la Garde de la reine avaient prétendu qu’elle ne pouvait le faire. Eh bien, elle l’avait fait, non ?

Des exclamations et des cris s’élevèrent du banc des Rats de quai : « Un écran ! Formez un écran ! »

Il était temps pour ces joueurs d’apprendre ce qu’une femme pouvait faire. Un receveur de petit gabarit sprintait sur le flanc pour aider à mettre le grappin sur Karolyse. Il se tenait bien loin du danger en serrant de près la ligne de touche. Jacyntha le cibla. Elle esquiva Yupanki et chargea le receveur d’un coup d’épaule, l’envoyant choir dans la foule. Un rugissement s’éleva de cette section des gradins. Elle eut à peine le temps de s’éloigner avant que le bruit de la foule ne la submerge à nouveau… c’était surtout un gémissement sonore parsemé d’exclamations isolées.

Joue jusqu’au coup de sifflet.

Yupanki regardait autour de lui, l’oeil erratique; il avait l’air confus, ce qui était toujours quelque chose qui pouvait arriver avec ces brutes au crâne épais. Les yeux de Jacyntha et d’Ocllo se croisèrent. Elles étaient amies depuis si longtemps qu’elles pouvaient chacune lire la pensée de l’autre et elles ne purent s’empêcher de sourire. Elles se jetèrent sur l’ogre, recevant l’aide inattendue de Belyna qui s’était remise du coup étourdissant de Yupanki. Elles s’attaquèrent à ses genoux. L’ogre bascula en arrière et s’écrasa au sol. Belyna, visiblement en colère contre le traitement que lui avait infligé Yupanki, leva sa botte.

Oh non, pas une faute ?!

— Non ! L’arbitre est juste là ! cria Jacyntha. Mais il était trop tard. La botte de Belyna retomba sur la main de l’ogre en un craquement audible d’os cassés accompagné d’un cri d’agonie encore plus audible.

— Eh l’arbitre ! Il y a faute ! cria le coach des Rats de quai depuis la ligne de touche, en agitant les bras et en pointant Belyna du doigt.

L’arbitre porta son sifflet à ses lèvres, jeta un coup d’oeil en direction du banc des Militantes où le coach Karsgaard dirigeait son équipe en agitant le chapeau tricorne d’Umberto.

Il siffla, mais ne signala pas la faute; plutôt, il signala qu’un touché avait été marqué.

Jacyntha porta son regard du banc de touche à la zone de but : Anahuark se tenait, à l’image d’une puissante guerrière Xonyxa, de l’autre côté de la ligne de but, un poing planté sur sa hanche, l’autre levé vers les fans en délire, le ballon posé au sol devant elle.

Les Rats de quai prirent d’assaut l’arbitre; les officiels du match vinrent soutenir leur collègue sur le terrain, et une bousculade éclata. L’équipe médicale emmena Yupanki à l’infirmerie; les gémissements perçants de la pauvre bête attristèrent Jacyntha.

En chemin pour se remettre en formation de coup d’envoi, elle passa un bras autour des épaules de Belyna et la rapprocha d’elle. — Je ne suis pas sûre de ce qui vient de se passer, dit-elle, l’arbitre te regardait. Mais conservons notre sang-froid. Froid comme de la glace, comme à l’entraînement pour la Garde de la reine. On ne doit pas se prendre un carton rouge.

Belyna, bien que toujours en colère, rougit et acquiesça. — Oui, Altesse.

— Hé ! Pas de ça, ça pourrait me renvoyer chez moi.

Belyna hocha la tête. — Désolée.

Alors que les équipes prenaient position le long de la ligne de mêlée, Jacyntha jeta un coup d’oeil autour d’elle, son regard flâneur se transformant en expression de surprise en réalisant que même si les sections des supporteurs des Militantes n’étaient pas pleines, il y avait tout de même des milliers de personnes qui applaudissaient leurs Xonyxas. Cuxi-Mikay botta le ballon haut et loin, et ces tribunes rugirent à nouveau, bien plus fort que celles bondées des Rats de quai.

Les Militantes parvinrent à la mi-temps avec une avance de 1-0.

« Vous pensiez qu’un simple donjon ALLAIT me retenir ? »

La discussion d’équipe à la mi-temps leur avait apporté une surprise inattendue et bienvenue. — Rien ne m’aurait empêchée d’assister au premier match de mon équipe, déclara Cassandra Thordwall. Elle avait l’air radieuse aux yeux de Jacyntha.

— Continuez toutes à jouer solidement et nous aurons de quoi fêter ce soir à la Loffante. Qu’est-ce qu’il y a dans ce panier ? Curieusement, Thordwall n’eut pas de mouvement de recul en entendant la réponse. Elle demanda simplement à Belyna de soulever le couvercle, jeta un coup d’oeil et dit : « Il s’appelle Chico ? Je ne voudrais pas rencontrer Gordo. »

Cuxi-Mikay donna le coup d’envoi de la seconde mi-temps, bottant le ballon en profondeur. Trop profondément. Il flotta hors des limites du terrain et les officiels du match le remirent au lanceur des Rats de quai avant de siffler la reprise du jeu. Cette erreur fit mal aux Militantes; le lanceur se mit à l’abri derrière une paire de solides vétérans pendant que les percuteurs des Rats de quai attaquaient à tour de rôle et blessaient les joueuses les unes après les autres. Ocllo fut la première à être blessée, puis Cuxi-Mikay et Anahuark. Belyna et Karolyse furent sonnées et eurent besoin de soins. Seule Cuxi-Mikay emporta quelqu’un avec elle, blessant un lanceur adverse. Avec trois des quatre percuteuses des Militantes éliminées, ce n’était qu’une question de temps avant que les Rats de quai marquent. Heureusement, ils poussaient pour la victoire et non pour un match nul, ils ne perdirent donc pas de temps à utiliser leur supériorité numérique pour tabasser les Militantes jusqu’à la dernière joueuse.

Le touché transforma l’Eztadio de Sanger en une monstruosité vivante. Les sections des supporteurs des Rats de quai s’animèrent de cris agressifs, et même les supporteurs des Militantes intensifièrent leurs encouragements.

Pillcu vint renforcer les effectifs, mais les Militantes n’étaient encore que sept contre onze. Les choses s’aggravèrent lorsque Jacyntha rata la réception du coup d’envoi qui suivit. C’était un botté court et elle avait dû sprinter pour se placer dessous. Quand le ballon redescendit, elle le laissa frapper sa poitrine et il rebondit droit devant à une douzaine de pas. Elle se précipita dessus, mais deux autres joueurs aussi, tous les trois plongèrent sur le ballon en même temps et aucun ne parvint à en prendre possession. Il rebondit dans les mains d’un receveur des Rats de quai. En un clin d’oeil, les Militantes étaient en retard 2-1.

Belyna et Karolyse n’étaient toujours pas en état de revenir sur le terrain, alors le coach Karsgaard fit signe à Jacyntha pendant que les arbitres refluaient les joueurs des Rats de quai qui fêtaient dans la zone de but des Militantes vers leur moitié de terrain. Avant qu’il ne puisse lui dire un mot, elle cria par-dessus le vacarme omniprésent : « Je sais coach, utilise les mains et pas la poitrine. Je suis désolée. »

— O.K., bon, j’ai besoin que tu utilises aussi ta tête maintenant, dit-il, le regard sévère. Reste à l’arrière. Cherche Ell qui va sprinter à découvert sur la ligne de touche droite. Ne passe pas le ballon avant. Tu verras le bon moment. Elle n’eut pas l’occasion de lui demander comment elle le verrait, car il stoppa leur receveuse, Ellpay, et sembla se disputer avec elle. Jacyntha entendit seulement les derniers mots alors qu’Ellpay entrait sur le terrain en tempêtant, le coach Karsgaard lui criant : « Ça vient de la patronne. Tu veux voir ça avec elle ? »

— C’était quoi ça ? cria-t-elle à Ellpay alors qu’elles prenaient position pour recevoir le coup d’envoi, mais il n’y eut pas de temps pour une réponse, car le jeu reprit. Ce coup d’envoi fut profond; maintenant qu’ils étaient en tête, les Rats de quai cherchaient à tuer le temps de jeu restant. Deux de leurs percuteurs, chacun escorté d’un receveur, inondèrent les flancs de la ligne de mêlée réduite à cinq joueuses. Ellpay attrapa le botté et remit le ballon à Jacyntha avant de s’élancer vers la moitié de terrain adverse. Jacyntha se tint en retrait comme il lui avait été demandé, regardant les percuteurs se rapprocher d’elle, le coeur battant dans sa poitrine alors que le duo de droite contournait Ellpay pour foncer vers elle.

Quatre ! Ils sont quatre !

Mais quatre venant vers elle signifiait que les chances étaient meilleures sur la ligne de mêlée; sept contre cinq, avec Ellpay en échappée. Mais Ellpay vira à gauche, et non à droite, ce qui signala à Jacyntha qu’elle devait occuper ses poursuivants pendant un moment. Elle se dirigea vers la gauche, cherchant à profiter du maximum d’espace possible. Le receveur sur ce flanc se tenait près de la ligne de touche pour l’empêcher de s’échapper du piège tendu par les Rats de quai. Alors qu’ils se rapprochaient, elle vit que ses soeurs tenaient bon sur la ligne de mêlée.

Un percuteur se jeta sur elle, mais elle l’esquiva, pivotant vers la gauche puis revenant vers sa propre zone d’en-but. Elle compta sur sa vitesse, sprinta et pirouetta pour éviter un autre tacle plongeant. Soudain, le deuxième percuteur fut sur elle, en compagnie du deuxième receveur qui l’empêchait de s’échapper. Elle absorba le coup, esquiva de côté et glissa sous un blocage du premier percuteur. Elle s’évada en utilisant le mouvement de nage d’Umberto, ce que les percuteurs n’avaient pas prévu. Un receveur vint de la droite… et en le regardant, elle vit Ellpay sprinter vers la ligne de touche droite en agitant les bras.

Puis Jacyntha fit quelque chose que ni elle ni le receveur n’attendait. Avec une telle infériorité numérique, un blocage était inimaginable, mais elle en fit un, le plaquant au sol. Elle se précipita en amont, se préparant à passer le ballon alors que l’autre receveur se mettait en position de l’intercepter et que les percuteurs étaient à sa poursuite. Ellpay était découverte, mais ses soeurs sur la ligne de mêlée s’étaient effondrées et les Rats de quai se précipitaient déjà pour lui bloquer le chemin. Passer maintenant le ballon à Ellpay serait insensé, mais juste au moment où elle se résignait à affronter le receveur, elle entendit le coach Karsgaard hurler : « Maintenant ! Maintenant ! »

Jacyntha bondit dans les airs en un mouvement de torsion et mit toute sa force dans le lancer. Elle catapulta puissamment le ballon à hauteur d’homme, ne laissant qu’à Ellpay la chance de l’attraper, mais rendant aussi sa capture plus difficile. Ellpay tendit la main gauche pour se saisir du ballon, mais ne fit que le dévier. Elle continua sa course et parvint sous le ballon alors qu’il redescendait, le sécurisant tout en remontant la ligne de touche en direction de trois Rats de quai qui n’attendaient que le moment de la faire tomber près du banc des Militantes.

C’est alors que Cassandra Thordwall donna un coup de pied au panier de Chico, renversant la vipère sur la ligne de touche. Plus forts même que le rugissement de la foule, Jacyntha entendit les cris terrifiés des Rats de quai qui reculaient d’horreur. Ellpay sprinta dans la brèche en maintenant un espace raisonnable entre elle et Chico, mais elle savait, comme toutes les Militantes, que Chico était paresseux et bien nourri d’un autre genre de rat de quai. Le serpent, probablement effrayé, retourna en glissant dans son panier après s’être assuré qu’Ellpay ne représentait pas une menace pour lui. La défensive ne s’en remit jamais.

Il y eut une dispute, évidemment, et elle faillit devenir violente, mais comme Chico n’avait pas vraiment franchi la ligne de touche et foulé le terrain, le coach Karsgaard insista sur le fait que l’officiel avait les mains liées. Finalement, en repensant à l’arbitre qui avait fermé les yeux sur la faute de Belyna aux dépens de l’ogre Yupanki, Jacyntha se demanda si l’officiel n’avait pas plutôt voulu prétendre que ses mains étaient liées.

Avec seulement six Militantes sur le terrain face à un plein contingent de onze joueurs, Jacyntha elle-même dut faire le coup d’envoi, mais ses soeurs n’eurent qu’à retenir les Rats de quai durant un bref instant avant que le coup de sifflet ne retentisse, mettant ainsi fin à la partie.

Le Sanger entra en éruption comme un volcan sur l’une de ces îles de feu de l’autre côté du détroit de Calxi au large de Guayamarti. Contre toute attente, les Militantes de Mytilan étaient revenues de l’arrière contre les favoris, les Rats de quai, pour faire match nul 2-2 lors de leur premier affrontement de la saison régulière.

Malgré le sacrilège que représentait l’exploitation de Chico, les Militantes célébrèrent devant leurs supporteurs enthousiastes. Et pendant ces célébrations, Jacyntha remarqua que Cassandra Thordwall affichait le sourire le plus suffisant qu’on puisse imaginer, en applaudissant avec le regard tourné en direction de la loge du propriétaire des Rats de quai.

MONUMENTO A LOS ASPIRENTES

L’image ci-dessus est le vénéré Monumento a los Aspirantes, se trouvant au centre de la Plaza de los Jugadores, juste à l’extérieur de l’Eztadio de Sanger à Guayamartí. La statue a une signification à la fois prosaïque et littérale. Le monument est célébré pour sa beauté, avec la Coupe Sang-Bleue perchée à la cime de la colonne. Trois personnages dominent le premier plan : Gloire, Ambition et Bouffon. Gloire et Ambition sont représentées par deux joueurs de foot, Gloire s’élevant au-dessus de Bouffon. Elle tient une lance ornée de bannières en tissu, et le sens littéral devient clair : les trois bannières représentent les équipes actuellement en position de se qualifier pour les éliminatoires, celles qui sont en première, deuxième et troisième place allant de la position la plus haute à la plus basse. La mouette est le symbole de l’équipe de joueurs vedettes de la ligue, les Bouffons, qui se qualifie automatiquement pour les éliminatoires contre l’équipe qui termine à la quatrième place. Ambition tient une deuxième lance présentant les bannières des équipes actuellement classées de la quatrième à la huitième position.

Cette manière d’afficher le classement vise à s’assurer que les fans de foot, largement analphabètes, sachent la position de leur équipe en regardant la statue. La Ligue de foot de la mer de Sommer tient une grille de classement très élaborée informant sur le positionnement des bannières des équipes après chaque jour de match.

On voit sur l’image ci-dessus que les Querelleurs de Gloriana, le Skitteringi d’Ebolicorum et les Bâtards de Cuzo occupent respectivement la première, la deuxième et la troisième place. Actuellement, les Militantes de Mytilan sont à la quatrième place. Les Rats des quais de Guayamartí, les Impériaux de Guayamartí, les Taillerochers de Saezora et les Sombredagues de Halos occupent la cinquième à la huitième position.

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