10 : Ce sont juste des foutus bouffons

Auparavant

Le coach Neuvil cumule les mauvaises nouvelles. Puis, une note lui est livrée disant : « Vous avez un ami sur le terrain. Le chapeau est le signal. » Requinqué, Neuvil livre un discours enthousiaste à ses joueuses et les envoie sur le terrain. Umberto, le garde du corps de Thordwall, tend un chapeau à Neuville en lui signifiant qu’il en aura besoin.

Gosling, le propriétaire de la Voile Loffante, jure devant le procureur de Guayamartí que Thordwall était à sa taverne au moment où la villa de Giamucci, le propriétaire des Rats de quai, fut saccagée. Slythe, l’Officier disciplinaire de la ligue et ancien ennemi de Neuvil, insiste sur le fait que Gosling ment, mais l’avocat de Thordwall réussit à la faire sortir de prison.

Les Militantes disputent leur premier match de la saison régulière face aux Rats de quai. Jacyntha y démontre son talent. Belyna commet une faute sous les yeux de l’arbitre. Mais plutôt que d’expulser Belyna, l’arbitre voit Neuvil agiter un chapeau et laisse le jeu filer, menant à un touché des Militantes.

En deuxième mi-temps, les Rats de quai égalisent le pointage. Puis Jacyntha provoque un revirement et un touché des Rats de quai. Ellpay capte une passe de Jacyntha alors que Thordwall renverse le panier de Chico, envoyant la vipère sur la ligne de touche. Les Rats de quai paniquent, laissant le champ libre à Ellpay qui marque le touché égalisateur. Après quoi, Thordwall, l’air suffisant, applaudit en direction de la loge du propriétaire des Rats de quai.

« CE SONT juste des fOUTUS bouffons. »

Cassandra Thordwall n’arrivait pas à comprendre pourquoi Neuvil en faisait tout un plat. — Comment est-ce que ça peut être difficile de battre quelques clowns ?

La mâchoire de Neuvil tomba si bas qu’elle faillit heurter le sol de la maison du gardien qu’ils utilisaient comme quartier général de l’équipe. — Je pensais que vous étiez fan de foot.

— C’est le cas. Une vraie de vraie. Et la preuve est que j’ai acheté une équipe dont je vous ai fait le coach, au cas où vous l’auriez oublié.

Il ne comprit pas ou ignora sa riposte et bafouilla, — Mais, mais, maudits treize enfers, comment est-ce que vous pouvez ne pas connaître les BOUFFONS ?

Il avait l’air vraiment décontenancé. Avait-elle raté quelque chose ? — Je sais ce que sont des bouffons. Les hiérarches en ont chacun un, à ce qu’on m’a dit. Les rois et les reines rient de leurs blagues et applaudissent quand ils jonglent. Est-ce qu’ils vont nous faire des blagues ? Parce que si c’est le cas, je peux en faire de meilleures qu’eux.

— Non ! Neuvil beuglait maintenant. À un point tel qu’Umberto leva les yeux après avoir vérifié le classement général pour la centième fois; les Militantes siégeaient à la quatrième position. Pas des bouffons ! LES Bouffons ! Ils sont… ils sont… son regard passa de la stupeur à la confusion. C’est l’équipe la plus populaire parce qu’elle est créée pour battre tout le monde !

— Ce n’est pas le cas de toutes les équipes ? Écoutez, je suis habituée aux ligues de la mer Roiling, et ils n’ont pas d’équipe de clowns. Rien de ça n’a de sens, et je ne suis pas vraiment convaincue de la nécessité d’ouvrir les cordons de ma bourse.

Neuvil prit une profonde inspiration. — Aye. Les Bouffons. Voyez-les comme des mercenaires de premier plan engagés par la ligue.

— J’les vois pas dans le classement, dit Umberto.

Neuvil secoua la tête. — Ils ne sont pas dans le classement. Chaque saison, la ligue engage les plus redoutables agents libres disponibles et en forme les Bouffons. Les fans adorent ça. Avec raison. Ils amènent un Sasquatch des forêts de Val-Hallá et l’accompagne des meilleurs guerriers Havoc. Puis ils récupèrent un ou deux loups-garous des cimetières de Val Mort, et y ajoutent une sorcière elfe noire, ou un duo de percuteurs orques, et peut-être même un tirailleur rongien. Votre vinr, votre ami, Giamucci et ses copains du Conseil des gouverneurs auront vu notre équipe à l’oeuvre et identifié la même faiblesse que moi lors de notre première rencontre; l’armure légère. Vous pouvez parier votre butin jusqu’au dernier centime qu’ils ont embauché de gros bras lourdement blindés. Ça ne sera pas une équipe d’esquiveurs et de sprinteurs.

Ah. Des joueurs étoiles mercenaires ? Ça, c’est différent…

— C’est pour ça que j’ai besoin que les cordons de votre bourse soient bien déliés. Je ne savais pas que vous aviez soudoyé les arbitres et payé une partie du prix des billets pour nos supporteurs lors du dernier match. C’était une bonne idée. Le refaire maintenant est encore une meilleure idée.

Umberto demanda : — Pourquoi ils sont pas dans le classement ?

— Oubliez le classement général ! Neuvil rageait. Les fans les aiment tellement que bon an mal an, ils jouent automatiquement le match de championnat contre l’équipe qualifiée la plus faible, c’est pour ça que la ligue ne prend même pas la peine de les inclure dans le classement.

Umberto hocha la tête. — Génial.

— Complètement stupide ! Claqua Thordwall.

Neuvil secoua la tête. — Les deux, même. Vous allez voir, ils sont tellement populaires que ce sera votre match le plus rentable. Mais c’est aussi une opportunité pour nous. Si nous les battons, les gens vont vraiment nous remarquer. Mais gagner contre eux est essentiel pour une raison encore plus importante. À la fin de la saison, la ligue utilise les résultats des matchs contre les Bouffons pour départager les équipes à égalité.

Ce que je vous dis, patronne, poursuivit-il, c’est que vos gains après ce match seront plus élevés, alors dépensez-en une partie à l’avance et refaites la même magie que vous avez faite contre les Rats de quai.

— Je vais y penser. Il n’avait pas l’air ravi du tout, alors elle lui donna autre chose à penser. N’oubliez pas que lorsque vous m’avez dit la faiblesse d’une équipe de xonyxas, je vous ai répondu que votre travail allait être de la rendre plus dure, plus solide. Allez en faire une équipe que les Bouffons ne vont pas trouver drôle.

Il sortit en trombe par la porte et prit d’assaut le terrain d’entraînement. Il ne lui fallut pas longtemps avant de l’entendre aboyer aux joueuses de mettre leur équipement, de s’échauffer et de faire des étirements. Alors qu’Umberto et elle quittaient la maison et se dirigeaient vers un mateo qui les attendait, la seule chose distincte qu’elle entendit fut « Où est Anahuark ? »

En descendant vers le Pont des Cent Arches, Thordwall repéra Anahuark sur un belvédère ombragé par des palmiers surplombant l’île de Guayamartí, mais la jeune Xonyxa n’admirait pas le port de la ville et l’Eztadio Menor. Elle était plutôt absorbée dans ce que l’alter ego de Thordwall, Peggy la Pilleuse, appellerait le bécotage d’un bel homme aux cheveux noirs. Alors que le mateo passait, le couple y alla d’un dernier baiser passionné avant qu’Anahuark ramasse son sac d’équipement et s’élance sur la colline en direction du terrain d’entraînement, non sans saluer une dernière fois l’homme aux cheveux noirs. La jeune femme était si absorbée par son amoureux qu’elle ne remarqua même pas les observateurs sur le mateo voisin.

Une fois passé le belvédère, Thordwall demanda au chauffeur du mateo de s’arrêter. Puis elle se tourna vers Umberto — Traite-moi de cynique, mais je trouve ça commode que l’amour naisse le jour suivant celui où nous avons volé des points aux Rats de quai. Suis ce jeune bravache et découvre pour qui il travaille.

Umberto plia le journal de la ligue avec le classement général, le glissa dans son manteau et sauta de la voiture. — Patronne, ça pourrait juste être des jeunes amoureux. T’sais, ça arrive, des fois

— Mon grand romantique, toi ! répondit Thordwall. Tu as peut-être raison, mais ces derniers jours, nous avons saccagé la villa de Giamucci, contourné la justice après nous être enfuis avec ses trésors, et couronné le tout en soudoyant des arbitres et en utilisant un serpent venimeux pour battre son équipe. Je crois qu’il vaut mieux s’en assurer.

— O.K. patronne.

Le sang sur les cornes est de mauvais goût

Des morceaux de quelque chose qui avait vécu jadis dégoulinaient des cornes du minotaure sur les pavés longeant la rive. Les Bouffons avaient touché terre et Karsgaard Neuvil, perché sur un banc à l’extérieur de la Voile Loffante, les regardait avec un air renfrogné alors qu’ils défilaient le long du rivage comme s’ils étaient déjà les champions en titre. Ils remontaient les quais avec tant de faste et de fanfare qu’on aurait pu croire que c’était le Festival de la Noire-étoile. Les habitants du Barrio leur lançaient des bandes de papier colorées faites à base d’algues ainsi que de quelques rares fleurs de jacaranda, en prenant soin de ne pas se mettre dans leur chemin, en particulier celui de Goriada, la célèbre minotaure.

La Ligue de foot de la mer de Sommer l’avait jadis bannie pour trois saisons après qu’elle se soit déchaînée à la fin d’un match pour s’en prendre aux officiels. Selon les souvenirs de Neuvil, cela avait été toute une journée. Goriada avait déjà blessé quatre joueurs avant de se défouler sur les arbitres. Ensuite, il y avait eu des batailles de rue entre les fans des équipes impliquées, les Rats de quai et les Gladiateurs de Dunaegl. Or, la suspension de Goriada était maintenant levée et, comme Neuvil l’avait prédit, les gouverneurs de la ligue avaient recruté ce monstre capable d’ancrer la ligne des Bouffons et de massacrer des Xonyxas à l’armure légère.

Une compagnie complète de la garde des hiérarches de Guayamartí escortait les arrivants, pas tant pour contrôler la foule que pour encadrer ces dangereux mercenaires. À vue d’oeil, chaque soldat semblait nerveux… et pour cause. Après Goriada venaient Dauris Donnenfer et Kwalgi Merdir’Huarg, deux des plus cruels guerriers havoc à avoir jamais joué au foot, suivi des centaures-taureaux Bryce Foulebrousse et Rory Lancecorde, anciennement des Griffeurs de Val-malheurs, autrefois champions de la Ligue de foot des Mers-gelées. Puis vinrent une paire de robustes nains havoc que Neuvil ne reconnut pas, talonnés d’une sorcière qu’il connaissait : Nytmir Tissefléaux, qui avait remporté le titre de joueuse la plus dangereuse trois saisons plus tôt. Deux de ses frères elfes noirs flanquaient Nytmir, dont l’un ressemblait à l’attaquant Oscuro Épic. Le reste de l’équipe était formé de satyres, des créatures difformes avec un torse, des bras et des jambes d’humains, mais avec des têtes de chèvres équipées de cornes torsadées en plus de sabots fendus et de fourrure agglomérée aux extrémités.

Maudits treize enfers, ils ne plaisantent pas !

Les Bouffons ne semblaient pas impressionnés par ces manifestations d’adoration, à un point tel qu’ils avaient l’air de planifier la destruction de Guayamartí et de tous ses habitants. L’exception était bien sûr Nytmir, rayonnante d’un large sourire face à la foule excitée, et qui levait les bras en signe de triomphe, agitant les mains vers les plus beaux hommes dans la foule. Elle avait des cheveux bouclés argentés qui lui tombaient aux épaules et des yeux violets qui semblaient tout absorber; en effet, son regard se posa sur Neuvil pendant un long moment et elle lui souffla un baiser.

La queue de la parade de fans défilait maintenant devant la Loffante quand Rennigan Slythe se laissa tomber sur le banc à côté de Neuvil. — Alors, Karsgaard, t’as aimé ce que t’as vu ?

— Va venter, Rennigan, dit Neuvil.

Slythe resta bouche bée, exagérant visiblement son état de choc. — Je ne pète JAMAIS !

Neuvil soupira. — Je voulais dire, du vent.

— Apprend mieux le parler de la rue, alors : ça n’est pas de ma faute si t’es aussi épais. Tu veux parier sur le résultat du premier match des Bouffons ?

— Hmmm… attends un peu… Tu es le nouvel officier disciplinaire de la ligue pour laquelle je suis coach, oh, et le match en question est contre mon équipe. Je pense que je vais m’abstenir.

Slythe gloussa — Karsgaard le craintif. Personne ne l’aurait su si j’avais aussi parié sur ce match. Il tapota la cuisse de Neuvil. Cinquante-cinq blessures au total dans leur dernière saison de jeu pour leurs différentes équipes, ça fait une moyenne de plus de cinq par match. Quelles sont vos chances ?

— Dégage, loin, très loin.

Slythe laissa tomber un petit paquet entre les genoux de Neuvil. — Tiens, tu pourrais en avoir besoin pour calmer tes nerfs avant le match. Puis la grosse brute se leva et fit ce que Neuvil lui avait demandé, laissant le coach ébranlé. Il n’avait pas besoin d’ouvrir le paquet pour savoir ce qu’il contenait.

C’était de la racine-de-rat.

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