Auparavant
Lors d’un rêve fiévreux provoqué par la peste rouge, Jacyntha chasse des ennemis dans la jungle près de chez elle à Mytilan. Ou bien est-ce elle qui est traquée ? Serait-ce des esclavagistes orques ? Des guerriers havoc ? Des exotermes ? Au moment où sa lance se transforme en vipère, ses cris la réveillent soudainement …
… Seulement pour découvrir qu’elle est sous la garde d’un elfe sylvain hautain, Pierce Rosépine. Rosépine l’assure qu’elle va guérir même si la maladie qu’elle a attrapée des rongiens l’a presque tuée. Lorsqu’elle se rend compte que Rosépine est aussi un joueur de foot, elle demande pourquoi il l’a aidée, ce à quoi il répond qu’il voulait s’assurer qu’elle ne mourrait pas avant qu’il ne la batte sur le terrain. Il est confiant à un point tel qu’il affirme que le moment où elle posera le doigt sur lui sera le moment où il prendra sa retraite.
Plus tard, s’adressant à Karsgaard Neuvil, Rosépine apprend comment Cassandra Thordwall, ancienne pirate et nouvelle propriétaire d’une équipe de foot, a fait port dans la baie du Gecko, au coeur de la jungle, et a recruté des Xonyxas (femmes guerrières) dont l’entrée dans la garde de la reine Béatriz leur avait été refusée. Avant de quitter, Rosépine ironise qu’il est heureux que Neuvil ne lui ait pas demandé de la racine de rat médicinale, laissant Neuvil perplexe.
« Je pourrais lui mettre une flèche dans l’oeil »
Cassandra Thordwall hocha la tête pour laisser Jacyntha savoir exactement ce qu’elle pensait de cette idée. Puis elle ajouta : « Ici à Guayamartí, ça s’appelle un meurtre. » Elle regarda entre les colonnes bordant le terrain d’entraînement des Militantes et vers l’aqueduc. Puis son regard se porta sur la citadelle juchée sur sa falaise avant de s’égarer vers le port de la ville sous le Pont aux cent arches. En fait, son regard s’égarait partout sauf vers les taudis construits à même la colline surplombant le terrain en terre battue. Il y avait supposément un espion là-haut dans la favela qui observait la séance d’entraînement des Militantes. Ou du moins, essayait d’observer la séance d’entraînement… ce ne serait pas facile avec les colonnes bordant le terrain et le toit le surmontant.
— Et en plus, ajouta Thordwall, je ne suis pas sûre que tu as retrouvé assez de force pour tirer aussi loin à l’arc.
— C’est pourtant le cas ! La réplique de Jacyntha était à la limite du pétulant, du puéril, rappelant à Thordwall que ses Xonyxas étaient toutes jeunes… à peine des adultes. On rirait de moi à la maison si je ratais ce tir.
— Je ne dis pas que tu ne pourrais pas le faire si tu allais bien, mais est-ce que tu as croisé un verre réfléchissant dernièrement ? Tu es faible et débraillée. Thordwall aventura le plus rapide des regards vers la colline avant de se lever et de se faire un devoir de regarder de l’autre côté de la baie vers la forme arrondie de l’Eztadio de Sanger surplombant le Barrio. Tu es sûre que quelqu’un est là-haut ?
— Derrière l’acacia.
Alors que Thordwall se retournait pour s’asseoir sur le banc à côté de Jacyntha, un coup d’oeil rapide comme l’éclair repéra l’arbre. — Ils riraient de toi pour avoir raté ce tir ? Vous, les Xonyxas, êtes de meilleures archères que ce que votre réputation laisse à penser.
— Pas toutes. Juste celles d’entre nous qui s’entraînent pour l’Appel.
— L’Appel de la garde de la reine ?
Jacyntha acquiesça.
Tordwall lui souffla — Tu es mieux ici avec nous. Elle fit signe à son propre garde du corps, Umberto, de s’approcher. Le grand homme marchait le long de la ligne de touche comme une panthère en cage; il appréciait aider Neuvil à entraîner les Militantes, mais elle voyait bien qu’il voulait être dans l’action, pas seulement la guider. Eh bien, s’il voulait de l’action, elle allait lui en donner.
— Ouais, patronne ?
— Ne regarde pas, mais il y a un acacia dans la favela derrière mon dos. Umberto! Je t’ai dit de ne pas regarder !
— Désolé patronne.
— Jacyntha me dit qu’il y a un espion dans les taudis là-bas. Je veux que tu découvres pour qui il travaille.
— O.K. Autre chose ?
— Ouais, il ne faut pas qu’ils saisissent à qui ils ont affaire.
— Hmm… alors, pas d’capture ou d’torture. C’est bon. Il s’éloigna au trot vers la maison du gardien, d’où elle savait qu’il y avait une porte dérobée hors de vue de l’observateur sur la colline.
Thordwall se leva et tapota l’épaule de Jacyntha. — Tu as bien fait de me mettre au courant. Maintenant, va te reposer pour le prochain match. Ce n’est qu’après demain.
Cassandra Thordwall sortit de l’ombre sous le brillant soleil brûlant et posa son tricorne sur sa tête. Elle prit un mateo pour traverser le Pont aux cent arches jusqu’au Roi Pêcheur. Pendant ce temps, elle réfléchit à qui aurait pu envoyer l’espion. Elle avait un pressentiment sur ce qu’Umberto allait déterrer. Mais si son intuition s’avérait exacte, elle ne pouvait pas y faire grand-chose pour le moment.
À part emprunter quelques pirates à son frère.
N’y pense pas, cul-de-jatte barbu!
Jacyntha fit le mouvement de nage qu’Umberto leur avait fait pratiquer. Par le Temple de la vipère, ce petit bâtard n’allait certainement pas l’abattre. Sauf qu’alors qu’elle se dégageait, une botte blindée la stoppa dans son élan et l’envoya choir sur le gazon.
Comment… ?
Elle eut à peine le temps de reprendre ses esprits avant que les Taillerochers ne la dépassent en marchant. Ils s’étaient formés autour du porteur du ballon et marchaient à travers la brèche que sa chute avait créée. Elle comprenait maintenant pourquoi ses soeurs avaient du mal à rester debout; ces culs-de-jatte savaient vraiment comment plaquer ! C’était utile de nager au travers d’un blocage tant qu’on restait debout. Au sol, elle ne les plaquait pas, elle ne les ralentissait pas, et elle ne les dirigeait certainement pas vers le corridor où Neuvil avait dit de les diriger.
Ils chantent ! Eh bien… si vous appelez ça chanter.
Le bourdonnement de leurs chants n’étouffait pas le bruit lourd de leurs bottes marchant dans la moitié de terrain des Militantes. Elle roula loin de la formation et se releva. Ses soeurs avaient empêché les nains de traverser trop de joueurs sur leur portion de terrain, mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils n’arrivent à portée de but.
Le coach Karsgaard cria de faire pression sur les coins de la formation, alors, elle la contourna et s’attaqua au nain sur le flanc arrière droit. Elle se débattit pour l’empoigner – elle était plus habituée à jouer du poignard au corps à corps – mais le petit bâtard était trop costaud pour être poussé et trop habile pour qu’elle puisse le saisir. Cependant, alors qu’ils luttaient, elle vit qu’elle l’avait ralenti; il y avait maintenant un espace entre lui et le porteur du ballon au centre de la formation. Soudain, Belyna se glissa dans l’espace et se lança…
Elle percuta l’armure du porteur de ballon dans un fracas audible. Belyna ne le fit pas tomber et ne le poussa pas à l’écart de ses coéquipiers, mais le petit bâtard cessa de marcher. Il laissa tomber son poing maillé sur la tête de son soi-disant agresseur, étendant Belyna avec une efficacité éprouvée. Mais alors qu’il se détournait, Anahuark se glissa à l’intérieur, attrapa le porteur du ballon par le col de sa cuirasse et le déséquilibra.
— Fais-le tomber ! Couche le lardin ! cria le coach Karsgaard.
Anahuark releva le défi, mais le centre de gravité bas du nain jouait en sa faveur. Il se débarrassa de la joueuse d’un mouvement d’épaule et reprit sa marche… seulement il avait été ralenti et ses protecteurs l’avaient dépassé.
Le nain qui luttait avec Jacyntha se prit le pied dans Belyna et tomba. Jacyntha se jeta sur le porteur du ballon comme un jaguar. Elle s’en prit aux bras du nain, car Anahuark verrouillait maintenant ses jambes. Le maudit bâtard refusait de tomber et ses mains serraient le ballon comme un étau. Un percuteur des Taillerochers plongea dans la mêlée, repoussant Anahuark.
— Fais-le tomber ! hurla le coach.
Le porteur du ballon, libéré d’Anahuark, dégagea ses bras, plaqua Jacyntha avec son épaulière et se retourna pour s’échapper.
— Ne le lâche pas !
Dans un dernier élan, Jacyntha frappa… pas le nain, mais le ballon. Elle lui donna un coup de poing et le sentit se déloger. Le cul-de-jatte essaya de rattraper le ballon, mais ses bras étaient maintenant retenus par Belyna. Le ballon libéré jaillit, tournoyant vers la ligne de touche des Militantes. Karolyse s’étira pour l’attraper, mais le fit dévier plus loin sur le côté.
Et droit dans les mains d’un coureur des Taillerochers.
Le nain décolla. Aussi près qu’il était de la ligne de but, et avec autant de Militantes à l’arrière de la formation, seule Ocllo pouvait l’empêcher de passer. Et le coureur avait de l’aide; un percuteur nain venait du flanc pour bloquer Ocllo. Mais elle nagea au-delà du blocage et tendit un bras pour crocheter le coureur.
Et Jacyntha apprit que les plaquages à un bras ne fonctionnent pas sur les nains. Le coureur repoussa le bras tendu et se retrouva dans la zone de but au moment où l’arbitre sifflait la fin de la première mi-temps.
Jacyntha et ses soeurs traînèrent des pieds jusque sur la touche sous les huées des nombreux fans nains. Elle regarda autour d’elle. Elles n’étaient pas dans le Sanger. Elles étaient dans l’Eztadio Menor qui dominait les quais de la presqu’île. Ici, il n’y avait pas d’imposantes rangées de sièges les unes après les autres. Non, entre les gradins, elle aperçut le Pont aux cent arches dans une direction et la Forteresa Almenara dressée dans l’autre. Il y avait une poignée de fans non-nains, rien à voir avec le contingent que les Taillerochers avaient amené.
Elle avait mal. Et elle n’était pas la seule. En fait, il manquait deux têtes au décompte de joueuses. De l’autre côté du terrain, les nains avaient ouvert un tonneau de bière et se réjouissaient en calant à tour de rôle des chopes de bière. Aucun d’entre eux n’avait l’air épuisé.
Le coach Karsgaard applaudit alors qu’elles se laissaient tomber sur le dos, certaines sur le banc de l’équipe, d’autres sur le sol. — Bon travail, dit-il. Vous avez presque stoppé ces lardins. Écoutez bien, ils vont nous botter le ballon à la demie. Gardez vos distances et transmettez le ballon à Belyna comme nous l’avons pratiqué. Noyez le point d’attaque sous le nombre, passez en un coup de vent par la brèche et dispersez-vous pour protéger Belyna. Mais si nous marquons, nous devrons leur botter le ballon. Vous devez vous rappeler de ce que je vous ai dit; ils savent comment plaquer. Nous ne pouvons pas les attaquer partout à la fois. Nous devons nous en prendre aux coins de leur cage.
— On ne peut pas s’attaquer à eux sans l’aide des autres, dit Ocllo.
Et c’est ce qui se passa. Les Militantes marquèrent rapidement leur tout premier touché en carrière. Belyna atteignant facilement la zone de but des Taillerochers, flanquée de Jacyntha et Anahuark. Mais le reste de la deuxième mi-temps fut une reprise de la première. Les Militantes terminèrent le match avec six joueuses sur le terrain et s’inclinèrent 2-1.
La grande patronne, Cassandra Thordwall, leur parla après le match sous le regard d’un coach Karsgaard à l’air furieux, mais qui se mordait la langue. — Nous allons vous donner deux jours de congé pour vous reposer, déclara Thordwall.
— Pour cicatriser, corrigea Belyna.
Thordwall hocha la tête. — Ça aussi. Mais ensuite nous aurons douze jours avant le début de la saison régulière. Elle fit une pause. Vous voyez toutes que Neuvil est furieux. Eh bien, n’allez pas penser que c’est parce que vous avez mal joué. Je suis fière de vous. Non, les Taillerochers ont de bons joueurs. En fait, ils avaient un peu trop de bons joueurs. Elle laissa ses joueuses absorber ces paroles.
Jacyntha fronça les sourcils. — Que veux-tu dire ?
— Ils avaient deux joueurs qui leur auraient coûté trop cher à embaucher. Umberto a vérifié et bien sûr, ils ont été embauchés juste pour ce match. L’un d’eux était ce coureur qui a marqué les touchés. Le terrain était incliné contre nous.
— Ils ne peuvent pas embaucher qui ils veulent ? demanda Jacyntha.
— S’ils ont les pièces, oui. Mais les frais de match que ces deux-là demandent sont au-dessus des moyens de Taillerochers, mais pas au-dessus des moyens d’un certain marchand d’épices. En fait, ils ont été embauchés par nul autre qu’Eguardo Giamucci.
— Le propriétaire des Rats de quai ? demanda Belyna.
Thordwall acquiesça. — Oui, et l’homme qui possède l’équipe contre laquelle nous allons jouer pour ouvrir la saison régulière. Il voulait vous ramollir. Elle regarda chaque joueuse dans les yeux. Mais je sais que vous êtes des dures, et j’ai un plan pour ce cher vieux Eguardo.