05 : Par le temple de la vipère !

Auparavant

Après une tentative d’assassinat sur l’entraîneur de foot déchu Karsgaard Neuvil, l’ancienne pirate Cassandra Thordwall rencontre l’homme qui a contracté le coup, Eguardo Giamucci, le propriétaire des Rats de quai de Guayamartí. Ils parviennent à un accord. Elle changera son témoignage fait aux autorités enquêtant sur la tentative d’assassinat et demandera à son frère de cesser de harceler les navires marchands de Giamucci. En échange, il votera pour que la nouvelle équipe de Thordwall rejoigne la ligue lors de la prochaine réunion du conseil des gouverneurs et il fera pression pour que Neuvil soit blanchi des allégations de trucage de matchs pesant sur lui. En parlant de trucage de match… Thordwall laisse planer une suggestion selon laquelle, avant que leurs équipes ne s’affrontent, elle serait ouverte à discuter de l’ampleur de la défaite de son équipe.

Ses rencontres avec trois autres gouverneurs de la ligue, la semaine suivante, produisent les résultats recherchés; elle obtient son équipe, les Militantes de Mytilan, et Neuvil sera son entraîneur. Il ne lui reste plus qu’à trouver des joueuses et à les préparer pour la prochaine saison de foot.

PAR LE TEMPLE DE LA VIPÈRE ! Il a une dague !

Jacyntha esquiva et sentit la lame lui tailler quelques cheveux. Elle se déroba vers la gauche et contourna d’urgence la ligne offensive des rongiens. Derrière elle, le tirailleur d’égout crachait du mucus vert.

Dieux protecteurs, ces choses sont dégoûtantes !

L’entraînement présaison, deux sessions entières, ne l’avait pas préparée à cela. Des armes dissimulées, des griffes portant la peste, de la fourrure mêlée et galeuse, une peau gangréneuse et écailleuse entre des touffes de fourrure et, pire que tout, des mutations artificielles suintantes de pus. Tout cela lui donnait des frissons dans le dos.

Mais plus inquiétant encore, tout cela la déconcentrait. Elle n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait le maudit ballon. Ses soeurs cédaient du terrain, lentement, comme l’entraîneur Karsgaard l’avait voulu, mais la stratégie visant à plier pour ne pas casser dépendait de leur succès à flanquer les choses-rat, à les enfermer dans une poche, et à saquer leur porteur du ballon. Le plan était bon, jusqu’à ce que vous ne sachiez plus où se trouvait le ballon.

Un trait de fourrure brune vêtue de noir passa comme un éclair devant elle, puis un autre.

D’autres envenimés de tirailleurs d’égout !

Ses soeurs à l’arrière devraient s’occuper de ces rongeurs grugés par la variole. Ils étaient aussi rapides que l’éclair, mais pas très costauds, donc ses deux coéquipières dans le champ arrière pourraient s’en occuper… c’est du moins ce qu’elle espérait. Elle aida Ocllo à renverser un joueur de ligne … rat de ligne ? … sur le gazon, puis se glissa à l’arrière de la formation rongienne.

Te voilà, maudit adorateur de démons !

Au loin, sur le bord de la zone de but du Skitteringi, se tenait un lanceur galeux, bavant sur la balle qu’il serrait entre ses griffes. Pas une seule horrible bestiole ne s’était retirée de la mêlée pour couvrir Jacyntha; alors elle sprinta vers le fond du terrain, espérant mettre fin aux souffrances de la bête… et aux siennes. Alors qu’elle se précipitait, au loin, elle entendit le cri pressant d’une voix familière. Le lanceur leva les yeux et prit note de sa présence, puis toussa une liasse de morve sur le ballon.

Elle faillit vomir sur-le-champ.

Se préparant au choc à venir, elle chassa le malaise de sa tête, se ramassa, et bondit. Le ballon, traînant des gouttelettes de … quelque chose … traça un arc au-dessus de sa tête alors qu’elle plaquait l’écoeurant rongeur. Il essaya d’échapper à son blocage, mais sa technique était solide et elle le renversa. Il chuta sur le gazon dans un bouquet de salive, de sang et de crachat, couinant d’agonie ou de triomphe. C’était difficile à dire.

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— Point ! Point ! pensa-t-elle l’entendre siffler. Elle s’en moquait; il était soit commotionné ou stupide, car il n’y avait aucune chance sur terre que…

Le sifflet retentit et la foule de l’Eztadio de Sanger éclata en un mélange de huées et de sifflements.

— Stupide femme, gloussa le lanceur en se levant. Stupide, stupide.

Elle regarda de l’autre côté du terrain. Effectivement, deux des maudits tirailleurs d’égout dansaient dans la zone de but des Militantes, se dandinant pour le plaisir du petit contingent enclavé … très enclavé, de supporters rongiens qui avaient bravé la lumière du jour pour assister au match. La foule, principalement humaine, lançait des fruits et des légumes pourris par-dessus la palissade les séparant des partisans adverses sans se rendre compte que les rats-machins en gobaient joyeusement une large part.

En revenant vers la ligne de mêlée, elle reconnut enfin la voix qui lui avait crié après; c’était celle de l’entraîneur Karsgaard. Elle la reconnaissait maintenant, car il avait pris d’assaut le terrain d’un pas rageur et s’était arrêté à une verge de distance pour lui hurler: — C’était un écran !

Elle haussa les épaules et leva les bras — Quoi ?

— Il t’a attirée pour que tu perdes ta contenance ! Tout ce qu’il leur fallait, c’était une passe-éclair à un tirailleur d’égout en position de contourner la ligne, DONT TU N’ÉTAIS PLUS LA PIERRE ANGULAIRE ! — et ensuite, transmettre le ballon à l’autre qui attendait là-bas !

Elle allait le frapper, mais elle se souvint de ce que Cassandra Thordwall lui avait dit lorsqu’elle avait encré le papier, signant le contrat faisant d’elle une joueuse de foot.

— Porte attention à Neuvil. Il sait très bien ce qu’il fait.

« Ç’a été une débandade ! »

— C’était juste un match présaison et c’était contre les champions en titre, répondit Neuvil à son employeur. Il nous a été utile. Les filles…

— Joueuses.

— … Les joueuses … ont maintenant une idée de ce qui les attend.

Cassandra Thordwall tambourinait le bureau avec ses doigts. Elle n’avait pas du tout l’air ravie. C’était le jour suivant la défaite de 4-0 contre l’Ebolicorum Skitteringi et Thordwall l’avait fait venir à son bureau de fortune, une pièce dans l’auberge du Roi Pêcheur, où elle séjournait.

Neuvil déclara : — Au moins, nous n’avons pris qu’une seule blessure.

— Merci à notre étoile pourrie ! Trouver une remplaçante a brûlé tous nos revenus du match, jusqu’à la dernière couronne !

Neuvil soupira. Il souleva un tabouret et s’assit.

— Qui vous a invité à vous asseoir ? dit-elle sèchement.

— Embaucher un nouvel entraîneur brûlerait plus que les gains d’un match présaison, ça c’est certain. Même s’il y avait une réelle menace dans ses paroles, il sourit pour adoucir le coup. Vous étiez une pirate, non ?

— Une navigatrice.

— Une navigatrice, aye. J’oublie sans cesse avec toutes ces rumeurs qui circulent sur Peggy la Pilleuse qui aurait touché terre pour se partir une équipe de foot, ici même à Guayamartí, si vous voulez tout savoir. Elle le fusilla du regard, le prévenant à nouveau qu’elle était une femme frappante. Laissez-moi vous raconter une histoire, madame la navigatrice. Avant de signer avec les Nordmartels, j’étais un homme du nord typique. En tant que navigatrice, vous savez que nos drakkars sont d’excellents navires : rapides, résistants, maniables. Vous n’avez peut-être jamais commis d’actes de piraterie, mais j’en ai fait. Nous tombions sur des navires bien gras, lestés par le poids de toutes leurs marchandises et nous les pillions de fond en comble. Mais de temps en temps, les maudits elfes noirs de l’autre côté de la mer sortaient un de ces navires de Yorvby ou de Ragganham et le chargeaient de soldats. C’était pour supprimer des pirates tels que nous, comme vous pouvez l’imaginer.

— Eh bien, une nuit, nous avons sauté sur un de ces chiens. Il secoua la tête, plongé dans une rêverie. Nous avons été battus jusqu’au sang. En fait, nous avons été chanceux de les avoir surpris; c’était brumeux, ils changeaient de quart de travail, ils regardaient vers leur proue, pas vers leur sillage. Nous avons sauté par-dessus les rambardes, pris la dunette… nous contrôlions leur gouvernail ! Mais ensuite, les soldats sont sortis en masse de sous le pont. Maudits treize enfers, ces gars savent se battre ! Entre les salves de carreaux d’arbalètes, les soldats se ruant avec leurs longues et minces épées, et même quelques éclairs enflammés, nous l’avons eu dans le lard. Svein Oursebarbe a lâché les berserkers, puis a retiré le reste d’entre nous à bord du Pic des Mers. J’ai pensé à verrouiller le gouvernail avant de retourner sur le drakkar. Le temps que les elfes retournent leur navire pour nous courir après, nous avions fondu comme neige au soleil.

— Nous avons perdu cette nuit-là. Après ça, nous n’avions plus aucun de ces guerriers fous bénits des dieux, la moitié d’entre nous avait une blessure, l’autre moitié en avait deux ou trois ! Alors que nous retournions penauds à Havrenord, nous sommes tombés sur un autre navire bien gras et lesté.

Thordwall leva la main. — Ne me dites pas; je peux deviner. Vous avez sauté la rambarde, submergé un équipage incompétent et êtes rentré chez vous riche.

Il fronça les sourcils. — En fait non. Ils nous ont atteints avec un globe de feu liquide. Le Pic des Mers a brûlé jusqu’aux flots et coulé. Il nota l’air incrédule de Thordwall et haussa les épaules. Je suis devenu riche à ma sortie suivante. Seulement, je devais d’abord être rançonné par ma famille. Ces chevaliers trois fois maudits exigent un prix élevé, vous savez, mais ça m’a laissé six mois pour piocher et creuser un fossé autour d’un château. Ça construit du muscle, ça. Aye, j’étais un pirate parfait quand je suis rentré à la maison : maigre, fort, et en colère. Comme je l’ai dit, à ma sortie suivante, je suis devenu riche. Puis j’ai pris le passage à Fjordmartel pour me joindre aux Nordmartels. Ces mêmes muscles forgés dans les douves ont fait de moi un sacré bon joueur de foot.

— C’est ici que vous me dites la morale de l’histoire…

— Alors laissez-moi vous dire la morale de l’histoire.

— Ne pas abandonner à la première défaite.

— Non, vous n’abandonnez pas. Vous en retirez les entrailles, les examinez, apprenez le comment et le pourquoi. Découvrez ce que vous auriez pu faire différemment. Développez de nouvelles techniques. Pratiquez ces nouvelles techniques jusqu’à ce qu’elles deviennent une seconde nature. Lorsque vous n’avez plus besoin de penser à ce que vous faites, vous prenez confiance et vous obtenez davantage de succès.

Thordwall jouait toujours du tambour sur la table avec ses doigts.

— Est-ce que ça va me rendre pauvre ?

Il secoua la tête. — Quelque chose me dit que vous êtes comme Svein Oursebarbe; vous savez quand vous retirer. Non, le foot ne vous rendra pas pauvre. Mais, aye, ça pourrait vous rendre de mauvaise humeur.

Il se leva et quitta son bureau, s’arrêtant sur le seuil de la porte pour se retourner et dire : — Il y aura amplement de bons jours. Vous nous avez trouvé des filles prometteuses… il leva la main pour s’excuser avant même qu’elle ne puisse ouvrir la bouche… des joueuses, et vous m’avez embauché.

Elle acquiesça. — En parlant de ça… vous avez beau être un entraîneur de foot expérimenté qui a remporté quatre coupes dans trois ligues différentes, dont la Coupe majeure des Deux-Mers, mais vous n’avez jamais entraîné de joueuses. Voici des entrailles à étudier; ne criez pas après elles. Contrairement aux barbares épais que vous avez entraînés auparavant, celles-ci utilisent leur tête pour autre chose que frapper leurs adversaires. Elles ont beaucoup d’autres options dans la vie. Leur crier après les dégoûte du jeu et leur donne envie d’explorer ces autres options.

Il leva un sourcil et le tourna vers elle. — Je dois les dorloter ?

— Appelez ça « développer de nouvelles techniques ». Je m’attends à vous voir les pratiquer jusqu’à ce qu’elles deviennent… comment encore ? … une seconde nature.

Il soupira. — D’accord. Je vais les dorloter.

Elle pointa un doigt vers lui. — Mieux vaut que ça ne soit pas littéralement.

— Qu’est-ce que littéralement veut dire ?

— Ne les tripotez pas.

— J’ai eu assez de problèmes dans ma vie, Thordwall, mais jamais pour ça. Je respecte les femmes.

Elle hocha la tête et lui fit signe de s’éloigner.

Neuvil prit un mateo du Roi Pêcheur jusqu’au terrain d’entraînement et y trouva Umberto dirigeant les Xonyxas à travers des exercices de saut. Neuvil était content d’avoir pensé à demander au garde du corps s’il avait des compétences à partager avec les joueuses. Elles étaient déjà sacrément douées pour bloquer et esquiver un adversaire, mais Umberto avait affirmé qu’il savait aussi une chose ou deux sur la manière de manoeuvrer au travers d’une offensive. Si les Xonyxas pouvaient intégrer un mouvement de nage ou une glissade latérale, elles deviendraient plus redoutables.

Il se dirigea vers le terrain en terre battue et observa. Belyna et Karolyse semblaient avoir saisi l’idée et étaient fluides dans leurs mouvements. Les autres semblaient toutes travailler très fort sur les mouvements de base. Umberto criait: « Bien, bien ! »

C’est à ce moment que Jacyntha éternua, s’évanouit et tomba au sol face la première.

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