Auparavant
Karsgaard Neuvil s’était démarqué lors d’un match crucial grâce à un jeu infernal qui avait changé une défaite en une victoire. Avec son boni de joueur du match, Neuvil avait essayé pour la première fois de la racine-de-rat.
Cassandra Thordwall, ancienne pirate et future propriétaire d’une équipe de foot, discute avec Neuvil, ancien coach de foot déchu, de la création d’une équipe de Xonyxas. Lorsque Neuvil signale qu’il lui est interdit de s’impliquer dans la ligue régionale, elle lui assure qu’elle a un plan pour surmonter tous les obstacles, notamment en s’assurant que les ennemis de Neuvil sachent où et quand elle le rencontrerait…
Les dagues fendirent l’air
Une atteignit Umberto alors qu’une autre s’encastrait dans le cadre de la porte du réduit. Neuvil se leva et attrapa un tabouret. Thordwall plongea sous la table au moment même où une autre dague ricochait contre le lambris, juste derrière là où se trouvait sa tête une seconde plus tôt. Quatre assassins surgirent de la foule qui s’était entassée dans la Voile Loffante, bien que l’un d’entre eux chuta devant Gosling qui l’avait fait trébucher.
Deux assassins se précipitèrent vers le réduit pendant qu’un troisième tentait d’achever Umberto. Neuvil leva, de sa main gauche, le tabouret comme un bouclier pour bloquer l’ouverture et, bien qu’il ait accepté de venir à la réunion désarmé, il sortit, de sa main droite, une lame de sa botte. Un agresseur le poignarda, fichant son arme dans le siège du tabouret. L’autre grimpa par-dessus le muret. À travers les jambes de Neuvil, Thordwall vit l’attaquant d’Umberto se fendre avec une longue lame, mais son garde du corps n’était pas aussi blessé qu’il le laissait paraître et il se pencha en arrière en saisissant le poignet de l’assassin.
Thordwall n’était pas sous la table parce qu’elle avait peur; vous n’avez pas une longue carrière de pirate si vous évitez les combats. Non, c’est que ses arrangements avec Gosling n’incluaient pas seulement la réservation du réduit, mais aussi les armes dont ils avaient vérifié l’emplacement avant la réunion. Elle attrapa le paquet de poudre appuyé contre le mur et ajusta un masque sur son visage. Puis, elle fit glisser son cimeterre hors du fourreau de cuir que Gosling avait cloué sous la table. Des pas résonnèrent sur la surface de bois au-dessus d’elle, mais elle ignora cet agresseur. Au lieu de cela, allongée sur le dos, elle se poussa du mur avec les jambes et jailli du dessous de la table. Elle glissa entre les jambes campées de Neuvil et frappa vers le haut, dans la cuisse du premier attaquant. La lame coupa profondément, mortellement, et l’assassin s’effondra comme une voile dont les lignes auraient été coupées.
Neuvil se retourna pour faire face à l’assassin sur la table, balançant son tabouret et obligeant l’assaillant à sauter par-dessus. Heureusement, l’assassin n’avait pas calculé qu’il se trouvait déjà bien au-dessus du sol et sa tête s’écrasa contre le plafond. Il s’affala sur la table comme une poupée de chiffon.
Umberto ayant maîtrisé son assaillant, Thordwall se concentra sur le dernier, nerveux et armé d’un poignard, qui se précipitait maintenant dans la mêlée. Elle se releva sur ses genoux, porta la paume de sa main à ses lèvres et souffla. L’attaquant lui porta un coup à travers l’éruption nuageuse de poudre gris-vert, mais Thordwall s’esquiva et roula plus loin en criant à Neuvil : — Ne respirez pas la poudre !
L’assassin frappa encore et encore, mais le troisième coup était maladroit et manqua la cible de beaucoup. L’homme vacilla puis Gosling lui asséna un coup sur la tête, mettant fin à l’assaut.
— Gosling ! Reculez ! hurla Thordwall en se précipitant vers le propriétaire de la taverne et en le poussant hors de danger. Neuvil, relevant son chemisier et couvrant son visage sous ses yeux écarquillés, recula aussi loin qu’il le put de la poudre persistant dans l’air, après quoi il pensa à vérifier si l’assassin allongé sur la table était vraiment inconscient.
Thordwall poussa Gosling vers un mur de la taverne en lui disant : — Ouvrez les volets. Le propriétaire n’eut pas besoin d’en être informé deux fois. Son videur retint la foule de clients pendant que Gosling ouvrait les volets, laissant entrer une brise humide dans la pièce. Umberto, un masque ajusté sur son visage, se leva, réarrangea calmement sa chemise cachant la cotte de mailles recouvrant sa peau, et revint ramasser la bourse de pièces d’or que Thordwall avait laissée tomber sur la table avant l’attaque.
— Maudits treize enfers, c’était quoi cette poussière ? demanda Neuvil, la voix étouffée par sa chemise relevée couvrant son visage.
Thordwall répondit : — Des champignons kazatis finement moulus avec du venin de boomslang. Ça agit vite, mais ça retombe rapidement. Elle enleva son masque. Nous devrions être corrects, maintenant.
Il laissa tomber sa chemise, révélant une bouche ouverte sur un visage étonné. — Bon sang ! Vous ne blaguez pas !
Elle haussa les épaules en souriant.
— Sauf que si, ajouta Neuvil, en serrant les dents. Vous jouez avec ma vie !
Thordwall sentit son sourire fondre. — Calmez-vous ! Vous ne vous en êtes pas trop mal tiré.
— Me calmer ? Sa voix était devenue un mugissement. Il leva l’index et le pouce éloignés d’une largeur de cheveux. J’AI ÉTÉ À ÇA D’Y PASSER !
Elle essuya la lame de son cimeterre avec la manche d’un assassin mort. — Nous étions prêts à les recevoir et, franchement, si vous ne pouvez plus vous défendre dans une bagarre, alors vous n’êtes plus l’homme que vous étiez, et certainement pas celui dont j’ai besoin. Mais, bonne nouvelle ! Vous avez bien fait, même si celui étendu sur la table a fait le travail à votre place. Vous avez le poste de coach si vous le voulez.
La mâchoire de Neuvil était toujours ouverte. Elle sut qu’elle devait agir rapidement. — Gosling, apportez-nous davantage de cette Pintó Macía. Le propriétaire hocha la tête et se précipita. Elle lui cria : Oh, et demandez au procureur d’envoyer immédiatement un enquêteur ici pour interroger les assassins survivants.
Elle prit Neuvil par le bras et le tira vers l’une des tables vides près des volets, Umberto les suivant de près. L’ondée était passée et le soleil se montrait à nouveau. Les yeux de Neuvil absorbaient toute l’activité de la rue à la recherche de nouvelles menaces. Elle le fit asseoir, posa une main sur chacune de ses épaules, le regarda directement dans les yeux et dit : — Karsgaard, vous voyez cet homme là-bas près du palmier? C’est l’un des miens. Vous voyez celui là-bas à côté de la cantina? C’en est un autre. Tout est sous contrôle. Personne ne va vous tuer. Même que quelqu’un va autoriser votre retour dans la ligue et ce quelqu’un est Eguardo Giamucci, le propriétaire des Rats de quai.
Gosling revint avec le flacon de vin et leur en versa des gobelets à ras bord. — Ça fera deux célébrations d’après-match, mademoiselle Thordwall.
Elle hocha la tête et, malgré elle, sourit à cette témérité. Neuvil but la moitié du gobelet en deux gorgées rapides puis demanda : — Pourquoi est-ce que Giamucci serait ouvert à mon retour ? Il me déteste.
— Aye, c’est vrai. Ça l’est à un point tel qu’il a mordu à l’hameçon. Il a envoyé ces assassins et… avant que vous ne criiez, je savais que la partie serait facile parce que je ne lui ai donné que depuis le milieu de la matinée pour les embaucher, et c’est pourquoi il n’a pas eu le temps de trouver quelqu’un de compétent. Regardez-les! Ils ne portent même pas de cagoule pour cacher leur identité. Faites confiance à Giamucci pour bricoler une tentative d’assassinat en embauchant des stevedores et non des professionnels.
Neuvil s’apaisa, même si elle voyait qu’il était toujours en colère. Elle fit un signe de tête à Umberto qui mit la main à l’intérieur de sa veste pour y repêcher une autre bourse. Elle la donna à Neuvil et dit : — Tenez. Voici votre premier mois de salaire en plus d’une prime d’embauche. Trouvez-nous un endroit pour travailler de même que pour entraîner et héberger des joueuses. Mes quartiers sont au Roi Pêcheur. Venez me voir demain matin et nous parlerons des joueuses.
Il ouvrit la bourse et regarda à l’intérieur. Il avait l’air prêt à la lui renvoyer alors elle ajouta : — Et ne pensez pas que je n’ai pas remarqué comment vous avez éludé ma question. Si vous vous présentez avec la gueule de bois ou accroc à la racine-de-rat, je vais aller voir quelqu’un d’autre. J’ai une réunion demain après-midi avec…
— Rennigan Slythe, finit-il pour elle. C’est ce qu’on m’a dit. Il leva les yeux vers elle et rit en voyant l’expression sur son visage. Elle figea ses traits et attendit. Thordwall, vos informations sont bonnes, je vous le concède. S’il y a un homme dans ce monde que je ne veux pas voir prendre du galon, c’est cette brute égocentrique qui se considère comme le héros de chaque histoire. Oh, il adorerait diriger une équipe de femmes, lui qui aime à penser que toutes les femmes l’adorent. J’accepte donc votre offre, mademoiselle Thordwall. Sinon, juste pour éloigner vos Xonyxas de Slythe.
Il y a des plaies qui restent ouvertes
Même si le foot est un sport tirant de la fierté de sa brutalité, il comporte des lois écrites ainsi qu’un code d’honneur non écrit.
Les cyniques affirment que le code d’honneur n’est pas écrit parce que les joueurs ne savent pas lire, et ils ne sont pas loin de la vérité. Malgré cela, les joueurs connaissent largement les lois et, de même, savent comment les contourner. Seul un imbécile ferait confiance aux arbitres pour le protéger, alors le code d’honneur est utilisé lorsqu’un joueur est tenté de contourner un peu trop largement les lois.
Suivant ces lois, frapper un joueur étendu à terre est une faute. Mais, au coeur d’une mêlée, un arbitre ne peut repérer tout ce qui s’y passe et des fautes s’y produisent souvent. Tous les joueurs sont d’accord; si un bloqueur orque lourdement blindé tombe à vos pieds et que vous pouvez aisément le botter, eh bien, cette faute est pratiquement de la légitime défense parce que si vous ne maintenez pas ce joueur à terre, il va se relever pour vous écraser. Aucun joueur ne veut être victime d’une faute, mais ils veulent généralement encore moins être la victime d’un bloqueur orque. Enfoncer la botte, comme on le dit, nivelle le terrain de jeu.
Mais qu’en est-il des joueurs monstrueux ? Ceux-ci évitent généralement de commettre des fautes; pourquoi se donner la peine de piétiner un faiblard couché alors qu’il y a amplement de faiblards debout à tabasser, le tout dans les règles du jeu? Cependant, il y a ces joueurs d’exception qui laissent leurs camarades prendre des coups alors qu’ils font le tour de la mêlée à la recherche des victimes les plus vulnérables, celles étendues au sol. Un tel excentrique est détesté par tout le monde, sauf peut-être par ses coéquipiers. Une brute comme celle-là peut facilement mettre fin à votre carrière et, pour la plupart des joueurs de foot, cela conduit à une vie de misère à mendier devant les portes des temples. Un tel individu, crachant sur le code d’honneur, devient une cible pour les autres joueurs.
Une brute de ce type, un monstre de la nature si fort qu’il pouvait tenir tête à un troll, avait terrorisé la Ligue de foot des Mers-gelées une génération plus tôt et s’était créé une réputation en tant que joueur le plus salaud à avoir souillé le sport. Un seul arbitre l’avait vu enfreindre les lois malgré les dizaines de victimes qu’il avait mutilées. Personne n’avait jamais réussi à se venger de ses très nombreuses transgressions; il était trop rapide, trop rusé, trop coriace.
Il s’appelait Rennigan Slythe et il avait mis fin à la carrière de joueur de Karsgaard Neuvil.