06 : Cette chaleur est mortelle !

Auparavant

La nouvelle équipe de Xonyxas (femmes guerrières de la jungle) de Cassandra Thordwall dispute son premier match pré-saison contre une équipe de Rongiens spécialisée dans le déplacement rapide du ballon et la propagation de maladies. Jacyntha – que nous avons déjà rencontrée dans le premier épisode – réprime son dégoût en exécutant la tactique du coach Karsgaard Neuvil. Elle parvient à renverser le lanceur rongien, mais ne peut pas l’empêcher de lancer le ballon, et les Skitteringi l’emportent 4-0 sur les Militantes de Mytilan.

Après le match, Thordwall convoque Neuvil dans son bureau pour discuter de la première prestation désastreuse de son équipe. Neuvil assure à Thordwall qu’il est commun de perdre; que les équipes passent à autre chose, apprennent de leurs erreurs, et gagnent un autre jour. Se sauvant de Thordwall, Neuvil retourne au terrain d’entraînement des Militantes, où les joueuses s’exercent à manoeuvrer au travers d’une offensive. Les Xonyxas semblent intégrer les manoeuvres dans leur jeu, mais c’est à ce moment que Jacyntha éternue, s’évanouit et tombe face la première.

« Cette chaleur est mortelle ! »

Transpirant, Jacyntha s’enfonçait dans les broussailles, une lance dans une main, une machette dans l’autre. Il faisait chaud, plus chaud que dans la jungle de N’Itgat. La lumière était étrange… mate, diffuse, par opposition à réfractée et verdoyante sous l’influence du haut couvert végétal. Cette partie de la jungle ne lui était pas familière; rien ne ressemblait à l’endroit où ses soldats patrouillaient dans les environs de Mytilan. Des frondes, aussi épaisses que son torse, suspendues à des arbres pendaient tout autour d’elle à la hauteur de ses yeux, lui bloquant la ligne de vue.

Il y a quelque chose par là !

Elle espérait que ce n’était qu’un Geckoïde… ils étaient étranges et rapides à la détente, mais aussi petits et généralement effrayés par les grands mammifères. En effet, c’étaient les grands mammifères dont Jacyntha avait le plus peur, et elle espérait qu’aucun ne l’avait prise en chasse.

Là !

Sa tête se tourna vers la droite. Était-ce un grognement ? Peut-être un râlement ?

Non ! Par là !

Elle tourna sa tête vers la gauche. Il y avait certainement eu un bruissement et des bruits de pas !

Elle s’accroupit. Était-elle tombée sur plus d’un ennemi ? Mytilan était-elle attaquée ?

Encore ! Un râlement venant de la droite ! Elle tourna la tête pour regarder, mais les frondes vibraient, pulsaient, grossissant et reculant au rythme de sa respiration régulière. Très étrange.

D’autres bruissements.

Un jaguar ? Une panthère ?

Elle entendit à nouveau les pas.

Humanoïde ? Était-ce un esclavagiste orque venu des hauteurs foudroyées de Cuzo ? Était-ce un guerrier havoc venu piller de Miranah, de par la maudite Bahía de las Lágrimas ?

Ses oreilles étaient emplies de bien plus que du chant des cigales ou du bourdonnement des moustiques.

Par le Temple de la vipère ! Pourquoi fait-il si chaud ?

À cette pensée, la lance qu’elle tenait dans sa main gauche se glaça; elle y jeta un oeil avant de crier : c’était une vipère !

La chose se tordit dans sa main. Jacyntha la jeta au loin, mais elle revint vers elle, son corps se contorsionnant, se rapprochant sans cesse, sa tête triangulaire proéminente à la gueule ouverte, ses crocs suintants de toxines mortelles qui l’achèveraient.

Un spasme secoua son corps et ses yeux s’ouvrirent soudainement.

— Doucement, doucement, chuchota une voix mélodieuse. Ne t’inquiète pas, jeune brindille. Tu vas te sentir mieux à l’instant.

Une forme était penchée sur elle. Ce n’était aucune de ses soeurs. Le coach Karsgaard ne parlait pas comme ça.

Elle demanda qui était là, mais seul un gémissement s’échappa d’elle. Une débarbouillette fraîche et humide atterrit sur son front et des mains soulevèrent sa tête de l’oreiller. La silhouette posa une outre sur ses lèvres et elle but avidement, un élixir frais coulant dans sa gorge. — Oui, oui, bois, jeune brindille. Ça te fera du bien. La rosée de vignerêve est très efficace pour contrer la fièvre, même lorsque provoquée par une plaga… une peste.

Après une demi-douzaine de gorgées, elle leva les yeux vers la silhouette, toujours floue, mais prenant une forme… mince, aux tresses dorées juchées au sommet de sa tête alors que ses tempes semblaient dépourvues de cheveux… des tatouages lumineux ? Elle n’avait aucune idée si c’était un homme ou une femme.

Est-ce un elfe ? Est-ce une rose tatouée sur son visage ?

— Nous en prenons généralement une rasade avant d’affronter les rongiens, mais elle peut contrer la plupart de leurs maladies même lorsque prise après y avoir été exposées.

— Qu… qui ?

Un doigt long et mince sur une main élégante lui écarta les cheveux des yeux et fit délicatement le tour de sa mâchoire. — Allons, allons, ne te fatigue pas. Tu es passée au travers du plus difficile. Mais maintenant que je suis là, tu n’as pas à avoir peur… à moins que tu ne te tiennes entre moi et ta zone de but !

À ces mots, elle secoua la tête. — Zone de but ?

— Eh oui, le football. Ou le foot, selon le coach Karsgaard.

Elle avait vu une de ses équipes jouer, une fois. Les Impériaux. Dans l’Eztadio de Sanger lors d’une visite à Guayamartí en compagnie de la reine Béatriz. Le foot n’était pas beaucoup pratiqué à Mytilan; comment peut-on jouer à de fausses escarmouches sur un terrain alors qu’il y en avait des vraies nécessitant une lance et une lame ? Orques, guerriers havoc, exothermes, sousmorts. Mais c’est justement parce qu’elle ne jouait pas beaucoup au foot chez elle que le spectacle sportif dans le Sanger l’avait tellement impressionnée dans son enfance.

Elle retrouva sa langue. — Je ne te replace pas. Qui es-tu ?

— Ah oui, tes yeux se remettent encore de la Plaga roja, la peste rouge. Tu saignais des yeux la première fois que je suis venu te voir hier. Ta vie était alors perchée sur le fil d’un rasoir. Un peu plus et tu étais probablement au-delà du secours de mes remèdes. Mais la rosée de vignerêve aide à lutter contre l’hémorragie, et mon Chant du ciel ainsi que l’épice de Pi’ichu Madrin combattent la propagation des bubons dans tout le corps.

— Mais… qui… qui es-tu ? Pourquoi es-tu ici ?

La silhouette semblait sourire. Un homme peut-être ? — Eh bien, je suis ici pour m’assurer que tu ne rendes pas ton dernier soupir avant que je te batte sur un terrain de football ! Et tu ne sais pas qui je suis ? Quel genre de footballeur ne me connaît pas ?

Elle secoua la tête.

— Je suis Pierce Rosépine et je suis la plus brillante des étoiles dans le ciel nocturne, la brise glorieuse qui traverse toutes les défensives, le danseur sur la terre promise.

— Tu… tu es un joueur de foot ?

— Hmmm… ton esprit est encore confus. Oui, c’est ce que je te dis à l’instant. Je suis un elfe des bois, un sylvestre. Et non seulement mon art de guérison honore cette partie du monde, mais mes exploits sur le terrain sont inégalés. Il sourit à nouveau d’un sourire aussi lumineux que ses tatouages. Le moment où tu vas poser un doigt sur moi est le moment où je vais raccrocher mes bottes.

« Merci à toi », dit Neuvil à Rosépine

Rosépine rayonna d’un large sourire. Il écarta une mèche de ses cheveux dorés qui était tombée devant ses yeux. — Je suis content d’avoir été utile. Si elle est aussi prometteuse que tu le dis, alors elle ira loin. Ce serait dommage pour le football de la perdre avant qu’elle ne puisse jouer un match … et non, cette catastrophe contre le Skitteringi ne compte pas. Pas encore. Mais la saison va commencer dans trois semaines. J’espère qu’elle va retrouver ses forces à temps pour être de l’alignement.

Ils se trouvaient dans la cuisine de la chaumière du jardinier, à côté du terrain d’entraînement, et le vacarme que faisait Umberto en dirigeant les joueuses au travers d’une série d’exercices s’infiltrait dans la pièce malgré la porte fermée. Une gouvernante s’occupait de Jacyntha au fond du couloir et au-delà d’une autre porte fermée. Rosépine arrêta d’emballer son équipement de soins dans une sacoche aux couleurs arc-en-ciel. — Elle est de Mytilan, tu dis ? Je pensais que la reine Béatriz décourageait ses gens de pratiquer notre beau sport.

Neuvil haussa les épaules. — Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que ma patronne a fait port dans la baie du Gecko où une vingtaine de filles enthousiastes nous attendaient. Nous avons organisé une séance pour qu’elles me montrent ce qu’elles pouvaient faire. La plupart d’entre elles avaient de solides compétentes martiales, ce qui est toujours prometteur, et quelques-unes étaient habiles avec le ballon. Évidemment, Thordwall ne m’a pas tout dit, mais je pense que la reine Béatriz avait refusé à chacune de les intégrer dans sa garde. Ces filles… joueuses… ne sont pas du genre à s’apitoyer sur leur sort. Peut-être qu’elles pensent qu’obtenir du succès sur le terrain est un moyen d’impressionner la reine.

Rosépine y réfléchit en fronçant les sourcils, puis il sourit à nouveau. — Ce n’est pas grave. Tu as bien fait de l’amener ici, loin de tes autres joueuses. L’isolement est nécessaire pour venir à bout des maladies infectieuses. Mais je n’aurais jamais pensé d’avoir à te dire qu’il est encore plus important de tenir tes joueuses loin des rongiens.

— Comme je l’ai dit, elles sont enthousiastes, répondit Neuvil. Et crois-moi, elles ont déjà une base pour esquiver les dangers.

Rosépine hocha la tête — Exactement comme je les aime. Il referma l’attache de sa sacoche et sortit de la chaumière. Il s’arrêta pour observer l’entraînement, mais Neuvil y mit un terme, guidant le danseur des bois vers le ceiba, le grand arbre qui fournissait de l’ombre au magnifique étalon blanc de Rosépine. Le sylvain bondit sur le dos nu du cheval et émit deux cliquetis. Le cheval rejeta la tête en arrière, déployant sa formidable crinière blanche, et contourna Neuvil en une série de pas de côté.

— Va te laver maintenant, Karsgaard. Brûle tes vêtements. Le regard de Rosépine changea et devint plus réfléchi. Et laisse-moi te dire que je suis content que tu ne m’aies pas demandé de la racine-de-rat médicinale. Il y a peut-être de l’espoir pour toi, après tout. Le sylvain s’éloigna en jetant un oeil connaisseur en direction du terrain d’entraînement.

Neuvil déglutit, n’ayant pas anticipé le commentaire d’adieu de Rosépine. La visite de l’elfe lui avait coûté cher, non seulement en or, mais aussi en détermination.

Une seule chose à faire. Entraîner les joueuses. Il y avait une tactique qu’il voulait les voir essayer.

Mais d’abord, il se lava. Et puis il brûla ses vêtements.

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